Fiche de lecture publiée dans « Maroc Réalités » de l’écrit de Mehdi Ben Barka, introductif de « Option Révolutionnaire au Maroc » et à la publication du projet d’orientation qu’il avait envoyé en 1962 pour le second congrès de l’UNFP qui s’était déroulé les 25, 26 et 27 mai 1962. Ce rapport n’avait pas été ni discuté ni publié lors de ce congrès. Il publie son rapport en juin 1965, suite au soulèvement populaire du 23 mars 1965.
Il a fallu le soulèvement populaire du 23 Mars 1965 à Casablanca pour que Mehdi Ben Barka décide de le publier. En introduction à cette publication, il écrit : « Ce sont les évènements sanglants du mois de mars dernier et les développements politiques qui s’ensuivirent qui lui redonnent une certaine actualité. »
Actualité, certes, car la nature autocratique du pouvoir s’est affirmée et confirmée avec son lot de répression contre les militants et responsables de l’UNFP (Juillet 1963).
En 1962, la critique du pouvoir était sans ambiguïté mais les capacités de l’UNFP pour donner une autre alternative étaient encore envisageables si les choix idéologiques et stratégiques étaient clairs et partagés avec tous les militants et la population.
Dans son introduction à cette publication, Mehdi Ben Barka précise qu’il fallait expliquer les raisons de l’échec de la période où la gauche était aux commandes ; clarifier les raisons objectives et subjectives de cet échec pour « en tirer les leçons susceptibles d’éclairer notre action future. » Son souci, c’est l’avenir et la nécessité d’informer et former les militants et les jeunes générations : « Seule l’explication objective de nos insuffisances, de nos erreurs passées, peut leur permettre de se préparer pour les luttes à venir. »
Ceci, d’autant que le régime utilise la démagogie pour tromper le peuple et que ses alliés, « la grande bourgeoisie commerçante se berçait encore d‘illusions sur les résultats d‘une politique économique qui se targuait d‘être en même temps libérale et efficace. » Mais, selon Mehdi Ben Barka, ce fut un échec en raison de la fracture sociale de plus en plus importante. Mehdi Ben Barka énumère les faillites du régime :
- La politique économique au service du néo colonialisme et qui conforte les privilèges
- L’organisation constitutionnelle en raison d’une constitution octroyée au mépris des aspirations populaires et faussée par le truquage des voix, et en raison de la représentation populaire en 1963.
Cette colère populaire lors des évènements du 23 mars 1965 oblige Hassan II à reconnaître la gravité de la situation et non ses erreurs « avant de proclamer l’état d’exception.» Mehdi Ben Barka en incombe la responsabilité au pouvoir, à son « imposture qui, depuis 1960, sert de fondement à la politique officielle du Maroc. (…) On fait applaudir les populations par contrainte, ou par réduction de la misère et l’on fait de ces applaudissements forcés un principe de gouvernement. Mais la réalité se venge de toutes ces illusions et la seule vraie politique est la politique du Vrai. »
Epousant la colère des masses populaires, Mehdi Ben Barka fait une critique virulente contre le régime. Des termes qui font date : « C’est que ce jeu avait tellement dépassé les limites de la décence que le peuple des grandes villes, à Casablanca notamment, est descendu dans la rue, pour mettre en cause le régime et écrire en lettres de sang sa faillite et son incapacité. »
Mehdi Ben Barka, avec la même indignation énumère les raisons de la colère populaire : élections truquées, condamnations des opposants, une administration au service des privilégiés, corruptions et passe-droits, l’absence de politique éducative : « Si la majorité de la population est maintenue dans la misère et l’inculture et si en plus, elle voit se fermer devant elle les portes de l’espérance, comment s’étonner que l’impatience prenne le masque du désespoir ? »
A la lumière des raisons qui expliquent ces évènements, Mehdi Ben Barka revient sur des fondamentaux du progrès et de la démocratie qui « n’est pas une enseigne qu’on exhibe pour les touristes, c‘est une réalité qui doit ouvrir concrètement à chacun des possibilités de progrès et de culture. Elle nécessite une organisation sociale qui, elle-même, appelle de profondes réformes de structures et non une révision de la constitution qui se ferait en dehors des représentants authentiques des masses populaires. »
Pour lui, ces évènements sont aussi un moment pour les forces de progrès de renforcer leur rang. Selon lui, la situation « est infiniment plus prometteuse qu‘en 1962, bien que la vie politique et les structures de notre parti aient subi de graves préjudices depuis juillet 1963. »
Il aborde alors des questions qui sont dans sa logique de combat et de pensée depuis la libération nationale : la démocratisation, la réforme agraire, des projets établis pendant le gouvernement de gauche de Abdellah Ibrahim et qui n’ont pas été réalisés par le pouvoir.
Engagé dans un esprit de solidarité africaine et arabe, Mehdi Ben Barka, considère que ces perspectives de progrès permettront aux solidarités africaines et arabes de voir le jour « lorsque ces réformes auront coupé le cordon ombilical qui nous lie au néo-colonialisme et auront éliminé les moyens d’action qu’il a toujours sur la structure étatique de notre pays. » Cette solidarité est celle des peuples de progrès et non des Etats au service du néocolonialisme.
Ce n’est là qu’un programme de transition, permettant « l’instauration d’un régime socialiste véritable. » Pour Mehdi Ben Barka, les jeunes, dans ce programme de transition, auront un rôle important qu’ils soient engagés dans un parti ou dans un syndicat : « Si ce rôle s’est manifesté avec éclat lors des évènements sanglants de mars 1965, il s‘était déjà affirmé au cours des six dernières années à l’occasion des batailles estudiantines et à travers les résolutions de leurs congrès successifs. Après la répression de juillet 1963 ils ont été les seuls à relever le défi des forces policières et à entretenir la combativité des masses laborieuses. »
Si, comme il l’écrivait, ces questions étaient d’actualité en 1965, elles le sont toujours en 2020. Quelle nécessaire évaluation et autocritique ? Quelle décision largement expliquée dans la transparence ? Que de négociations dans le passé avec le pouvoir sans que les militants n’en sachent rien ? Quelle volonté réelle de rassemblement qui tient compte de la société civile pour faire face au pouvoir? Quelle prise en compte des erreurs à ne pas « refaire » ? Comment dépasser les raisons subjectives pour ne se concentrer que sur les raisons objectives ?
Hayat Berrada Bousta
Mars 2020