Quelques interrogations Aujourd’hui
Un texte pour le dernier mois du centenaire de Mehdi Ben Barka sur certains concepts qui ont traversé sa vie: démocratie et développement.
C’est aussi des interrogations sur ces concepts aujourd’hui. Quel nouveau regard? Malgré cette spéculation mondialisée, cette révolution technologique que nous vivons ouvre des voies à différents changements, lance des défis d’adaptation qui pourraient permettre de mesurer les capacités de chacun à remettre l’Humain au centre de tout développement et rejoindre les fondamentaux d’une Démocratie à réinventer…
« Ma rencontre » avec Mehdi Ben Barka
C’est lors de ma première année universitaire à Grenoble que j’ai eu le privilège, en tant que militante de l’UNFP, de lire l’intervention pour la commémoration de la troisième année de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka. Après la minute de silence avant l’intervention, un militant congolais, 7 années après l’assassinat de Lumumba, s’était levé pour dire : « ce n’est pas une minute de silence qu’il faut pour se recueillir devant cet homme, mais 1 heure ». C’est probablement ce qui a activé mon intérêt pour le parcours et les écrits de celui qui nécessitait que l’on se taise pendant toute une heure!
Ce fut, évidemment, « Option Révolutionnaire au Maroc » édité par Maspéro en 1966 qui fut ma première lecture. Ce qui m’avait le plus intéressé, au-delà de l’analyse politique critique du régime, était cette conviction en une nécessaire auto critique qu’un Parti se devait de faire pour avancer et réaliser ses objectifs. Nécessité très actuelle.
Mais, c’est surtout ces dernières années et depuis le cinquantenaire de sa disparition que je l’ai rencontré dans ses écrits et ses positions que l’on a publiés dans le site Maroc Réalités. Cette confiance, cet optimisme presque juvénile, la ferveur du texte, les choix de terme qui font date, la colère parfois qu’on y décèle, l’humour qu’il utilise, cette proximité avec les populations.
La libération du néocolonialisme, première étape pour le développement
Dans ses textes et interventions, nous retrouvons toujours ce lien entre Libération-Développement et Démocratie auxquels il ajoute souvent la question de l’outil pour y parvenir. Développement et Démocratie, ne peuvent être pensés et réalisés avant de s’accorder sur la notion de Libération.
En 1958, devant les cadres et militants du Parti de l’Istiqlal, il insiste sur le combat pour la Libération au-delà de l’Indépendance, utilisant des termes qui sensibiliseront les masses populaires : « Il ne suffit pas de changer le chapeau occidental par le » terbouche » marocain et la langue étrangère par l’arabe. » C’est aux militants du Parti dont la plupart étaient des ouvriers et paysans qu’il s’adresse : « Beaucoup de citoyens croient que notre mission s’est terminée avec l’indépendance. (Mais) nous vivons une situation qui nous demande(…) de mener un combat nouveau plus fort que dans le passé. … Ce combat requière l’engagement général de tous les citoyens».
Conscient qu’un pays à lui seul ne peut pas affronter les visées impérialistes et néocoloniales, Mehdi Ben Barka s’adresse à plusieurs pays africains. Le combat contre les nouvelles formes de colonialisme nécessite, déclare-t-il à Tunis en 1960, la solidarité entre toutes les forces populaires et les peuples d’Afrique : « Pour répondre à la solidarité coloniale, il faut promouvoir une solidarité des peuples africains qui renforcera notre lutte, à la fois à l’intérieur contre les forces réactionnaires et à l’extérieur contre les manœuvres impérialistes ». D’autant que les anciens colons sauvegardent leurs intérêts dans ces pays anciennement colonisés quand il s’agit de libérations obtenues en collaboration avec eux.
Dans cette intervention à Tunis, il s’adresse aux populations africaines en insistant sur la nécessité de cerner la nouvelle politique coloniale au risque de voir les anciens colons vider l’indépendance de son contenu « Il est évident que la proclamation de l’indépendance qui est un fait uniquement politique, sinon juridique ne peut changer les structures fondamentales du pays anciennement colonisé ; L’indépendance est la condition, la promesse d’une libération, ce n’est pas la libération elle-même. » Après des années de lutte contre le colonialisme, quoi de plus compréhensif que le peuple qui a permis cette indépendance pense être arrivé à son but. L’euphorie des indépendances, ne doit pas cacher les visées néocoloniales et leur danger. Le néocolonialisme en quittant les pays colonisés laissent intactes les structures coloniales et donc la porte ouverte à l’exploitation impérialiste : « Toute indépendance qui se contente de reconduire sous des étiquettes nouvelles les caractéristiques de la domination coloniale ne saurait être que leurre et tromperie ».
En 1963, il propose un projet de Revue Africaine lors de différents entretiens avec des responsables du Tanganyika, de Guinée, de la République Arabe Unie, de l’Algérie et du Maroc. Il fallait démystifier, informer et clarifier le sens de l’indépendance et les dangers du système néocolonial. Cette nécessité de clarification, d’analyse et de précision est d’autant plus importante, écrira-t-il, que « actuellement l’ennemi change de tactique. Il devient plus difficile de le détecter et de l’isoler »
Dans la foulée, il écrit un article pour cette revue « l’Afrique au-delà de l’Indépendance » qui ne sera publié de manière inédite par François Maspéro qu’en 1966 après son enlèvement le 29 octobre1965. Dans cet article, il insiste sur la politique néocoloniale de division et de préfabrication de frontières, de création d’états factices dont l’objectif est de créer des tensions: « Les conséquences en sont la balkanisation de l’Afrique, la création et l’exaspération de conflits inter–africains. » Il réaffirme la nécessité de la solidarité des pays africains sortis du colonialisme mais aussi, de donner à cette solidarité la cohésion nécessaire pour combattre l’impérialisme et le néocolonialisme et ne pas se laisser abuser par des aides des anciens colons.
Cette solidarité sera concrétisée dès 1957 par la création de L’Organisation de solidarité des peuples d’Afrique et d’Asie (OSPAA) qui s’était réunie pour la première fois à Accra, au Ghana. Il espérait avec la proclamation de la Charte de l’OUA en mai 1963, que celle-ci soit l’expression d’une véritable volonté de libération et de progrès, au-delà des indépendances, malgré les divergences entre ces pays. En février 1965, il souligne dans son article « l’OUA devant l’épreuve du Congo », les différends entre les pays d’Afrique et s’interroge sur l’avenir de l’Organisation : « Jusqu’à quel point la coexistence est-elle possible au sein de l’O.U.A. entre les régimes d’indépendance complète et les structures néo-colonialistes sans qu’en souffre le développement du mouvement révolutionnaire dans le continent africain ? »[1]
Avec l’accession à l’indépendance dans plusieurs pays africains, les convoitises des anciens colons s’articulent à la nouvelle donne néocoloniale. Si la politique néocoloniale date des années 20 (Egypte, Irak…), celle-ci, selon Mehdi Ben Barka, se précise de plus en plus. Le néocolonialisme améliore sa stratégie de domination. Elle est, « devenue une politique conçue avec clarté et appliquée avec persévérance (…) Cette orientation du système colonial traditionnel n’est que le changement profond dans les structures du capitalisme occidental.»[2]
A partir de considérations qui étaient l’objet de plusieurs de ses interventions, Mehdi Ben Barka soulève dans son intervention à Tunis déjà citée, les problèmes que pose la présence au Maroc des bases et des forces militaires étrangères sous couvert d’investissements favorables pour le développement de ces pays : « C’est en s’appuyant sur leur prépondérance économique que les puissances ex-colonisatrices gardent chez nous des forces militaires importantes. Les investissements capitalistes, la présence d’une colonie de peuplement constituent à la fois une raison et un alibi à leur présence militaire qui s’inscrit également dans la stratégie mondiale de la guerre froide. » Ces bases militaires sont un facteur d’instabilité et de domination, menacent la paix et la souveraineté des jeunes indépendances et, « utilisent les territoires libérés comme bases d’agression pour soutenir la guerre coloniale chez les peuples voisins ». Ces bases militaires leur permettent une expansion économique qui s’est faite « aux dépens des pays sous–développés, sources des matières premières. » Elles perpétuent leur rapport de domination et d’exploitation sous couvert de coopération mensongère. C’est, selon Mehdi Ben Barka « leur nouveau pacte colonial »
Le néocolonialisme est un obstacle pour le Développement. Mais, ce n’est pas le seul obstacle. Les politiques des réactions nationales de chaque pays le sont aussi comme il le soulignait dès 1960 à Tunis: « Il ne s’agit pas pour nous quand nous pensons à l’héritage colonial de faire cesser seulement l’exploitation née de la période du protectorat, mais aussi l’exploitation qui a pu exister de l’homme marocain par l’homme marocain ». Comme le néocolonialisme et l’impérialisme, les forces réactionnaires sont un danger non seulement pour le développement mais aussi pour la paix. Ce sont elles qui servent ces puissances impérialistes en les laissant spolier les ressources naturelles de ces pays : « L’impérialisme ne saurait conserver des chances de survie en Afrique s’il ne pouvait se camoufler sous les intérêts de certains éléments rétrogrades. »
La nécessaire éducation populaire pour le développement et la démocratie
La question de développement traverse ses écrits et interventions avec comme condition la participation du peuple. Pour cela, il est nécessaire de donner au peuple les moyens nécessaires dans la conception et la réalisation de l’objectif d’édification d’une société nouvelle. Le premier moyen est l’éducation qui est, non seulement Une priorité mais La priorité comme il l’exprimera lors de la Conférence Internationale de Tioumliline[3] et dans le projet et réalisation de la Route de l’Unité. D’autant que le colonialisme avait empêché les propositions des nationalistes sur l’Education et les connaissances générales, et voulait maintenir les marocains dans l’inculture et circonscrire l’enseignement au seul enseignement religieux : « (…) Lorsque nous avons essayé de faire évoluer l’enseignement, le colonialisme s’y opposait refusant cette évolution et prétendant que l’introduction d’une quelconque modification dans l’enseignement de l’université traditionnelle était une atteinte à l’Islam. Il considérait également tout marocain qui désirait créer une école libre pour enseigner les mathématiques, la géographie et les sciences naturelles, comme une hérésie. Ces allégations et considérations émanaient de Boniface[4] et de ses acolytes qui se sont érigés en « défenseurs » de l’Islam ».
Après sa nomination comme Président de l’Assemblée Nationale Consultative (ANC), Mehdi Ben Barka fait un projet de la Route de l’Unité qu’il présente en juin 1957 à Mohamed V. La Route de l’Unité permet à plusieurs personnes souvent analphabètes de suivre non seulement les actions d’alphabétisation mais aussi de participer à différents séminaires de formation sur des sujets divers : les réalités économiques et sociales mais aussi sur la citoyenneté, la coopération, le développement, la démocratisation du Maroc… C’est l’éducation populaire au-delà de l’alphabétisation qui est un élément essentiel à la prise de conscience et donne son sens à la libération et au développement.
L’édification d’une société nouvelle libérée de toutes les formes d’exploitation internes comme externes nécessite la clarification du concept de développement : qu’entendons-nous par cette revendication essentielle? Essentielle car pendant le combat contre le colonialisme, le seul objectif était de se débarrasser du colon, récupérer en tant qu’Africains son territoire spolié. Les contradictions sociales, les situations de misère…n’étaient pas une priorité. Mais « Le temps où la revendication de l’indépendance pure et simple était progressiste est révolu. La seule revendication révolutionnaire actuelle est le développement réel, total et harmonieux de l’Afrique ».
L’aspect humain dans le choix du développement
« (…) De crainte que l’indépendance ne recouvre que pauvreté et misère, que la reconnaissance internationale cautionne dépendance et sujétion, il faut dès maintenant donner au mot « développement » la résonance émotionnelle qu’a eu le mot « indépendance » ; ou plus exactement montrer que la vérité profonde, cachée jusqu’à maintenant mais essentielle de l’indépendance c’est bien le développement. » écrira-t-il dans son article « l’Afrique au delà de l’Indépendance ».
La construction d’une société nouvelle repose sur un projet de développement progressiste, bénéficiant à toutes les régions pour sortir de la politique coloniale de partage du pays en Maroc utile et Maroc inutile : « …Il faut éviter que certains ne bénéficient d’une large part alors que d’autres survivent et souffrent de ne pas pouvoir subvenir à leurs besoins vitaux…». Cependant, développer le Maroc après l’indépendance ne nécessite pas, pour Mehdi Ben Barka, de détruire tout ce qu’avait construit les colons (écoles privées, enseignement, …), il s’agit de le capitaliser et édifier une nouvelle société par et pour les marocains, attachés à leur culture.
Mais le développement ne doit pas rouvrir les portes à l’impérialisme : « Si toute l’infrastructure routière, portuaire, hydroélectrique est financée et construites par les techniciens étrangers, si la prospérité du commerce extérieur est liée à la vente d’un produit nécessaire à l’économie des pays impérialistes, si tout le développement industriel est conçu comme la simple installation de succursales de grandes compagnies européennes, il faut dire, en toute objectivité, que ce processus était essentiellement déjà celui de la phase coloniale… »
Pour Mehdi Ben Barka, dans cet article, pour sortir du sous-développement il est nécessaire de clarifier des conditions autour d’« une réforme profonde des structures agraires, une industrialisation rapide et réelle, et une politique d’investissement efficace et conséquente, selon une planification qui fixe les objectifs monétaires et élimine les risques inhérents au libéralisme. » De 1957 à 1960, des réalisations seront concrétisées dans certains domaines. Pour exemples :
- La Route de l’Unité qui au-delà de la construction d’une route de 60km de Taounate à Ktama, a sensibilisé des jeunes au « sens de l’effort communautaire, le sens de la commune ou du syndicat ou de la coopérative, le sens de l’effort national pour l’édification de notre pays ».
- L’Opération-labour, initiée pendant le Gouvernement Abdellah Ibrahim, par Mehdi Ben Barka et organisée avec Abderrahim Bouabid, consistait en l’acquisition de milliers de tracteurs et une mise en culture moderne de terres appartenant à des petits et moyens propriétaires. Cette opération devait, selon Mehdi Ben Barka, être « le germe révolutionnaire (…), car les villageois sont obligés de constituer un comité de contrôle des limites, qui, petit à petit, se transforme en un comité coopératif qui n’aura plus à s’occuper seulement des problèmes de bornage, mais qui pourra peu à peu s’occuper de programmes de travaux, d’achats de semences, d’achats d’engrais collectifs. Ainsi, la coopération ne sera pas imposée d’en haut, de façon artificielle, mais sera inspirée par la pratique en liaison avec les centres de travaux dont le réseau s’étend sur l’ensemble du Royaume. « –
- La création de la monnaie marocaine et la Banque Nationale . Le gouvernement de Abdellah Ibrahim instaure le dirham marocain comme monnaie officielle et fonde Bank Al Maghrib: « Il s’agit de contrôler non seulement l’émission de la monnaie mais aussi le crédit pour permettre l’orientation et l’accélération de nos efforts dans le sens que nous avons indiqué ».
Certes, ces réalisations sont un élément important dans l’édification de la nouvelle société. Cependant, pour Mehdi Ben Barka, il ne s’agit pas seulement de penser l’infrastructure du développement d’une société mais surtout de travailler au préalable à la participation des masses pour cet objectif et leur faire prendre conscience de leur rôle d’acteur en tenant compte de leurs identités culturelles. Il le dira lors cette Conférence à Tioumliline en 1957 sur l’Université marocaine : « On ne peut, construire un pays avec une élite, on ne peut construire un pays sans la participation constante et active des masses qui, elles, ont participé d’une façon consciente et active à la libération du pays. »
Au-delà de l’éducation de base, pour amener les masses populaires à rejoindre les projets de développement, il est nécessaire d’être attentif et tenir compte de leurs habitudes, de leurs comportements. Il le précise dans son intervention sur la Réforme agraire et du rôle de la paysannerie. Il faut, dira-t-il, tenir compte de « l’attitude des paysans dans leur ensemble et par groupes sociaux vis-à-vis de telle ou telle mesure qu’il faudra entreprendre pour réaliser cette réforme agraire. » Ainsi, toute réforme agraire n’est pas isolée des questions politiques, sociologiques et culturelles. Elle « devra englober tous ces problèmes ».
Pour Mehdi Ben Barka, c’est la participation populaire dans la conception et la réalisation du développement des pays au lendemain de leurs indépendances politiques qui donne au Développement une dimension humaine indispensable. Il l’écrit dans son article inédit, l’Afrique au-delà de l’indépendance: « Quand on n’a en esprit qu’un aspect secondaire(…) même quand celui-ci est aussi primordial que le niveau de vie…on se fait une idée fausse du développement. (…) Il y a un aspect humain, social et culturel qu’il est absolument nécessaire de circonscrire pour arriver à une définition adéquate. »
Mehdi Ben Barka savait que les pouvoirs en place au lendemain de l’indépendance se laisseront abuser par des îlots de prospérité et non par un développement national dont devra profiter toute la population. Il met alors en garde contre ces abus qu’il constatait en Afrique, contre ces îlots qui ne sont que la construction de techniciens étrangers. Le développement industriel n’est en fait que la possibilité pour les grandes compagnies européennes de s’installer en Afrique. Il faudrait se débarrasser de cette politique néocoloniale qui « d’un côté accorde de cœur léger l’indépendance politique et, au besoin, crée des Etats factices dont l’indépendance n’a aucune chance de devenir réelle ». Une balkanisation de l’Afrique qui engendre des conflits fratricides inter-africains. D’un autre côté, cette politique néocoloniale « promet un relèvement du niveau de vie dont les bases objectives sont en dehors de l’Afrique ».
Si la libération du néocolonialisme est une condition de réussite d’un développement intrinsèque, la participation citoyenne est indispensable dans l’exécution et le contrôle de ces plans par le biais d’institutions démocratiques (Assemblées communales…, assemblée élue…). Il n’y a pas de développement sans démocratie pour Mehdi Ben Barka.
Socialisme et démocratie
Pour un développement véritable, libéré de toutes les formes de domination, le choix de société est, pour Mehdi Ben Barka, le socialisme. Cependant, il ne s’agissait pas, pour lui, d’opter pour le socialisme dans l’abstrait mais de « bâtir réellement les bases de ce système économique et social ». Mehdi Ben Barka n’était pas dogmatique. Il faut se méfier, dira-t-il, de tous ces mots en « isme ». Dans son rapport au second congrès de l’UNFP en 1962, il écrira que le rôle d’un Parti Révolutionnaire « n’est pas de s’affubler d’un titre que de montrer en quoi il se différencie de tous les pseudo-socialismes qui remplissent aujourd’hui le continent africain de leurs vacarmes« . Et, dans son article inédit de 1963, l’Afrique au delà de l’Indépendance : « Le socialisme comme étiquette n’a aucune signification puis qu’il peut cautionner un régime semi-fasciste, qu’un Etat féodal, ou une création de l’impérialisme ». »
Le socialisme doit tenir compte de la participation populaire et donner à la promotion populaire une place essentielle. Pour lui, le choix du socialisme scientifique est une réponse à ces préoccupations. Il en énumère les caractéristiques dans son rapport au second congrès de l’UNFP en mai 1962 : « la mise en place d’institutions politiques qui permettent un contrôle démocratique des masses sur l’appareil de l’Etat, ainsi que sur la répartition des ressources et du produit national(…) une structure économique qui déracine les fondements de la domination de l’impérialisme allié de la féodalité et de la grande bourgeoisie parasitaire et par une organisation politique et sociale qui encadre et éduque les masses en vue de mobiliser toutes les ressources nationales nécessaires à l’accumulation. »
Pour déraciner les fondements de l’impérialisme et de ses alliés internes, il faut nécessairement, avant la question économique, solutionner le problème du pouvoir par l’instauration d’institutions démocratiques : « C’est alors le problème du pouvoir lui-même qu’il s’agit de résoudre correctement avant de s’engager sérieusement dans l’édification socialiste ». Mehdi Ben Barka insiste sur la nécessaire participation citoyenne. Dans son article inédit déjà cité, il écrit que le développement ne doit pas être décidé et pris en main par les Etats car alors, il ne représente pas « l’expression des masses laborieuses et se trouve souvent sous l’influence de groupes d’intérêts internes ou externes ».
La participation citoyenne est la condition de réussite du développement véritable par le biais d’institutions démocratiques (Assemblées communales…, assemblée élue…) que l’on retrouve dans ses interventions pendant la Route de l’Unité mais aussi sur les conditions d’une réforme agraire au Maroc qui inscrivait la commune rurale « comme cellule de base de vie démocratique et de développement économique » . L’instauration de la commune rurale, est un travail long qui repose sur un travail d’éducation populaire, « qui au fur et à mesure amènera le paysan à prendre conscience de la nécessité de cette réforme car il pourrait « en voir les résultats ». La réforme ne s’impose pas d’en haut. Il reviendra sur la démocratie et la participation citoyenne après les évènements de mars 1965, en introduction de son rapport présenté au Secrétariat Général de l’UNFP en mai 1962 et qu’il a rendu public en juin 1965 : « Une politique de restriction servant une minorité de privilégiés ne peut durer à l’époque de la démocratie et du socialisme.(…) La démocratie n’est pas une enseigne qu’on exhibe pour les touristes.(…) Elle nécessite une organisation sociale qui, elle-même, appelle de profondes réformes de structures et non une révision de la constitution qui se ferait en dehors des représentants authentiques des masses populaires. »
Mehdi Ben Barka ne considère pas la constitution comme « un talisman » qui indubitablement permettra la Démocratie, la justice, le Droit et régler systématiquement les problèmes que rencontrent les masses populaires:« (…) Nous ne sommes pas de ceux qui vénèrent le système parlementaire qui a montré ses travers dans différentes expériences.« [5]
La question constitutionnelle n’est, pour lui, « qu’une partie du problème démocratique, c’est à dire de la participation de plus en plus large des masses populaires à la gestion publique ». Elle ne peut être dissociée « d’une mobilisation et d’une organisation des masses, qui est d’ailleurs le plus sûr moyen d’imposer cette revendication fondamentale » »
Cette mobilisation indispensable en particulier dans le cadre d’un pouvoir autocratique et absolu, nécessite la mise en place d’une structure qui pourrait et saurait imposer ces revendications inséparables que sont la Libération, le Développement, le Socialisme et la Démocratie.
Quel outil pour parvenir au Développement et à la Démocratie ?
La question de l’instrument à mettre en place, réformer, évaluer revient à plusieurs moments.
- Au lendemain de l’Indépendance alors qu’il était président de l’ANC, il déclarait en 1958 devant les cadres et les militants du Parti de l’Istiqlal: « Le devoir nous impose d’agir pour former l’outil nouveau qui créera les héros de la bataille de la construction de la société nouvelle. ». La refonte d’un instrument politique pour l’articuler à la nouvelle donne de l’indépendance politique.
- A la veille du premier congrès de l’UNFP de septembre 1959, lors du deuxième entretien accordé à Raymond Jean en juin 1959 : Si « les trois premières années de l’indépendance ont été des années de recherches en vue d’apporter une solution à ce problème de l’édification», il faut mettre en place l’instrument nécessaire pour y répondre et pérenniser ces efforts et répondre à l’exigence du socialisme et de la démocratie. Un instrument qui devrait être défini clairement dans ses orientations idéologiques, stratégiques et politiques.
- Mais, c’est principalement dans son rapport au second congrès de l’UNFP en 1962 qu’il fera une évaluation et une autocritique du Parti. Ceci, d’autant que le pouvoir en 1960 a fait avorter tous les projets constructifs et populaires. En 1962, dans le rapport qu’il présentait au second congrès de l’UNFP, il écrivait « un véritable coup d’arrêt a été infligé au Mouvement de Libération Nationale : c’est un coup d’Etat déguisé qu’a subi le Maroc et qui, au lieu de laisser un pouvoir partagé entre les forces populaires qui avaient réalisé l’indépendance et les forces de conservation a opéré un transfert de pouvoir au profit des seules forces antipopulaires. » Il fera la critique du pouvoir sans ambiguïté, de la coupure profonde qui n’a cessé de s’aggraver entre le peuple marocain et ses gouvernants. Mais il faut, selon lui, expliquer les raisons qui ont permis cette imposture alors que gauche était aux commandes. Une autre alternative était encore envisageable si les choix idéologiques et stratégiques étaient clairs et partagés avec tous les militants et la population. Il fait alors une autocritique du Parti définie dans les 3 erreurs mortelles :
- L’appréciation du compromis d’Aix-Les-Bains : « nous avons pris à notre compte tout l’accord et nous l’avons présenté comme une déroute totale du colonialisme français. Nous avons présenté la liquidation du Conseil du Trône comme une nouvelle capitulation du pouvoir colonial, alors que c’était une concession – piège savamment calculée. Nous sommes entrés dans le jeu colonial(…) Jamais, selon lui, les compromis « ne doivent obscurcir la conscience révolutionnaire des militants. »
- Le travail en vase clos : « Ai-je besoin de vous rappeler toutes les batailles que nous avons menées de 1956 à 1960, sans que le peuple n’en sache rien. (…) Nous ne disions pas au peuple que tous les moyens d’appliquer nos projets nous échappaient. Nous n’avions pas le pouvoir, voilà la vérité. » (…). A l’avenir selon Ben Barka, il faut travailler dans la transparence, dans l’explication aux militants de ce qui sera fait… Force est de constater que cette transparence et le travail en vase clos perdurent toujours.
- Le manque de clarté dans les prises de position idéologiques : « La meilleure façon de nous définir, justement au cours de ce 2ème congrès, consistera à préciser sans hésitation les tâches à long terme et à court terme qui nous attendent. »
Lors de son troisième entretien avec Raymond Jean en 1959, pour Mehdi Ben Braka, le Parti devrait nécessairement se réformer pour répondre aux nouvelles aspirations populaires. La nature de cette reconversion est nécessairement, selon lui, une structure de gauche dont les choix politiques devraient tenir compte des forces populaires qui ont œuvré pour l’indépendance du pays et devraient s’employer « aujourd’hui à réaliser son indépendance économique et social ». Il faut tirer des leçons de ces erreurs et favoriser l’union des forces de progrès « La situation actuelle au Maroc, écrira-t-il dans son rapport au second congrès de l’UNFP, rend indispensable l’union la plus large de toutes les couches révolutionnaires de la société. Leurs intérêts lointains ne sont pas les mêmes ; mais elles peuvent être unies sur un programme qui soit d’importance nationale ». Le 1er juin 1965 dans son souci, d’informer et former les militants et les jeunes générations, il écrit en introduction à la publication de son rapport au second congrès de l’UNFP « Seule l’explication objective de nos insuffisances, de nos erreurs passées, peut leur permettre de se préparer pour les luttes à venir. »
Pour Mehdi Ben Barka, le Parti doit clarifier son orientation idéologique. « Cette préparation idéologique doit se baser sur des lois scientifiques du développement de la société, enrichies par l’expérience des révolutions socialistes et anticolonialistes. »
Quelques interrogations aujourd’hui sur ces concepts, dans le cadre d’une mondialisation qui se répercute sur le Maroc et tous les pays car l’imbrication et les effets de l’ultra libéralisme les affectent, tant économiquement que socialement et culturellement.
La Dette, un obstacle au développement véritable.
Pour ce qui est de notre pays, nous retrouvons, 55 ans après l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka, les mêmes préoccupations, les mêmes nécessités de refonte de notre société malgré les façades de « modernité », les mêmes adversaires qui handicapent le développement, le même pouvoir autocratique au service de l’étranger. Tout cela dans une situation internationale où l’ultra libéralisme nous encercle comme dans un étau. Pour perdurer dans cette exploitation et cette domination, les pouvoirs dominants occidentaux, souvent anciens colonisateurs, réconfortent leurs alliés internes en leur accordant des dettes pour… le « Développement » !
Or, la situation d’endettement a été l’élément principal de la colonisation en 1912. La France programmait la colonisation du Maroc après l’Algérie et la Tunisie par la dette accordée en 1904 au Makhzen pour ses dépenses militaires. Depuis la moitié du XIX siècle l’autorité centrale, le Makhzen, avait des difficultés financières de plus en plus importantes en raison, au-delà de ses dépenses pour son train de vie,[6] des dépenses militaires dont il avait besoin pour affronter ceux qui le combattaient, « bled Siba ».
Cet emprunt va ouvrir la voie de plusieurs années de crises financières et de contractions de nouvelles dettes pour rembourser les premières. Elles asphyxient le pays en 1910.
La dette, au-delà de l’aspect financier est un moyen de conquête coloniale car elle nécessite « la création d’institutions nécessaires à sa gestion qui empiètent nécessairement sur les fonctions étatiques. À la suite du contrat d’emprunt de 1910, « cette administration collecte la totalité des douanes et des taxes urbaines de Casablanca, en plus d’organiser la police et la sécurité à l’intérieur même du pays. »[7]
Le Maroc rentre dans l’engrenage de la dette, puis de la dépendance. C’était en 1904-1912 et nous sommes en 2020. Les causes et raisons de la dette ne changent pas. C’est toujours une « aide au développement ».
Une aide au développement sous couvert d’endettement dont ne bénéficient que certains privilégiés nationaux et leurs amis étrangers, n’hésitant pas à placer leur argent dans les comptes offshore de manière illégale. Les intérêts sont préservés. Le Maroc s’endette pour un « développement » des zones les plus riches. Les chantiers innovants bénéficient en priorité aux investisseurs étrangers et aux marocains aisés qui ne tiennent aucun compte de la masse de déshérités du Nord au Sud du Maroc des régions oubliées. On est bien loin de cette possibilité que Mehdi Ben Barka soulignait dans le projet d’édification d’une société nouvelle d’ « éviter que certains ne bénéficient d’une large part alors que d’autres survivent et souffrent dene paspouvoir subvenir à leurs besoins vitaux…»
En octobre 2020, dans un article intitulé « Le Maroc de plus en plus addict à la dette extérieure »[8] , A. Hlimi écrit : « qu’elle soit bilatérale, multilatérale ou de marché, la dette extérieure du Maroc a atteint 586 Mds de dirhams à fin 2019, en hausse de 9% par rapport à 2018, et devrait continuer à progresser cette année. La Loi de Finances rectificative, concoctée en réaction à la pandémie, ouvre la voie à cette éventualité. »
Le FMI n’a jamais hésité sous le nom « de plan d’ajustement structurel » d’imposer des réductions draconiennes sur les dépenses publiques au niveau social. On réduit les crédits d’éducation, de culture et de santé. A. Hlimi souligne dans cet article qu’avec la pandémie, on va « rehausser le plafond de cette catégorie de dette de 31 Mds de dirhams à 60 Mds de DH. Depuis, le Maroc a accéléré les «accords» avec les institutions internationales et ses partenaires historiques pour des financements ciblés, concernant le secteur de la santé notamment. »
Les dangers de la fracture sociale au-delà du Maroc : montée des extrémismes et des intolérances pour le Maroc comme pour ses alliés
La voie est ouverte à l’accentuation de cette prétendue aide au développement qui n’est qu’un des facteurs qui renforcent la dépendance du Maroc mais aussi sa régression malgré des investissements qui ne bénéficient qu’aux privilégiés et qui accentuent la fracture sociale. Celle-ci devient de plus en plus un danger : les extrémistes instrumentalisent « ces bassins de misère ». Tout en créant un climat social d’un autre âge, ces derniers commettent des actes criminels au Maroc qui se prolongent aussi dans d’autres pays et qui permet à ces derniers de justifier leurs discours sur la dichotomie bien orchestrée entre 2 mondes. Celui de la civilisation et l’archaïsme : la Civilisation et la Démocratie étant l’Occident et l’archaïsme et l’absence de démocratie étant l’Orient et l’Afrique musulmane.
« …Il n’y a pas de limite à ce qui peut advenir à partir de l’absolution que se donnent les belles âmes (…) s’octroyant le droit d’estimer inférieure une certaine part de l’humanité. »[9]
L’intolérance, la stigmatisation, le racisme, antinomiques avec la démocratie s’installent progressivement dans ces pays qui n’hésitent pas à bafouer leurs propres principes démocratiques. Les amalgames vont fusionner : islam, islamisme, intégrisme, terrorisme. L’Islam est pris en otage de ce qui ne le concerne pas par des terroristes certes mais aussi par des systèmes occidentaux sans parler des groupes politiques qui ont pour objectif de distiller la haine. Des discours de haine orchestrés par des états occidentaux mais qui ne se privent pas de soutenir des autocraties islamistes pour préserver leurs privilèges. Que l’on soit croyant, que l’on pratique ou non la religion, que l’on soit agnostique ou athée, il y a urgence à continuer et développer la résistance contre toutes formes d’instrumentalisation.
Les pays où règnent l’arbitraire, le non droit, la corruption érigée en système comme au Maroc cautionnent par leur silence les « manières de voir » de ces pays, leur domination idéologique. Ils les laissent piller les richesses africaines quand ils ne les encouragent pas. En contre – partie, des systèmes occidentaux, au-delà des « aides », passent sous silence les escalades liberticides de ces pouvoirs et préservent les intérêts d’Etat.
On est loin au Maroc des principes institutionnels de la démocratie : les constitutions se suivent et de modifications en modifications préservent l’essentiel : le non-droit. La revendication de l’élection d’une Assemblée Constituante depuis 1960 n’a jamais vu le jour. En 2011 seule une commission administrative de révision de la constitution a été créée par le Roi qui ne pouvait s’abstenir de l’encadrer et l’arbitrer. Un simulacre constitutionnel qui ne peut mettre fin à l’arbitraire : les libertés individuelles et collectives au Maroc ne cessent de se dégrader.
Tout cela dans un contexte quasi international du déficit de la Démocratie. Les pays « démocratiques » s’arrogent le droit d’intervenir pour « sauver leur démocratie » dans différents pays comme en Irak, en Libye…
Mais pas en Israël qui, le 19 juillet 2018, a adopté une loi proclamant Israël comme « État-nation du peuple juif ». Les implantations juives relèvent alors de l’intérêt national et une inégalité entre citoyens est ancrée dans la loi. Israël viole les résolutions de l’ONU, mène une politique coloniale utilisant la violence et la terreur pour arriver à ses fins sous le silence voire la complicité de ces pays « démocratiques ».
Au regard de la situation dans le monde, la notion de démocratie connaît une dégradation progressive. Probablement car on ne s’est souvent intéressé qu’à son aspect institutionnel certes indispensable mais qui, progressivement, a été escamoté en donnant la priorité à la loi sur le droit et en promulguant des lois liberticides sous couvert de lois sécuritaires…
Ne nous sommes pas surtout intéressés aux fondamentaux institutionnels de la démocratie, sa dimension sociale, certes, en laissant de côté le comportement personnel ? Or, « si nous voulons réaliser la démocratie [dans notre pays], il faut commencer par la concrétiser en nous-mêmes en premier lieu. Le plus grand effort que nous devons faire quotidiennement est l’effort pour dépasser nos faiblesses, nos habitudes pour nous améliorer et évaluer nos comportements en restant vigilant de manière continue. »[10]
Quels chemins pour la démocratie au moment où s’élèvent des voix pour la revendiquer ? Sur quel outil s’appuyer ?
Le combat pour la démocratie est permanent. La misère rampante qu’engendre « l’ajustement structurel » au Maroc, la dépendance maintenue par l’endettement, les fractures sociales qui s’aiguisent non seulement au Maroc mais dans le monde, ne jouent pas en faveur ni de la démocratie, ni du développement véritable.
La dimension humaine nécessaire à tout développement a été occultée par les concurrences effrénées, des profits indécents, des marchés boursiers sans âme. Or, c’est cette dimension humaine qui permet de donner à la démocratie son caractère fondamental: la liberté. Soutenir que la liberté est cette économie de marché sans limite comme seul régulateur des rapports, ce n’est pas éduquer à la démocratie.
Mais, malgré cela, les peuples continuent et persisteront à combattre cette « dictature du profit » : « résister, c’est d’abord refuser. L’urgence réside aujourd’hui dans ce refus qui n’a rien de négatif, qui est un acte indispensable, vital. La priorité des priorités : refuser l’horreur économique, sortir du piège et, à partir de là, aller de l’avant. »[11]
Chaque société a ses propres caractéristiques, son niveau de vie, ses dangers auxquels il faut résister. Au Maroc, face à l’imposture, à la corruption érigée en système, à l’impunité qu’un état de non-droit ne peut que maintenir, cette résistance date de longtemps avec son lot d’arrestations arbitraires, de condamnations, d’exécutions, d’assassinats et de disparitions forcées..
Mehdi Ben Barka disait au sujet du combat anti colonial « ce colonialisme n’a pas pu entamer la volonté du peuple marocain de combattre l’occupation étrangère ».
Aujourd’hui, malgré les nouveaux colons, ni leur violence liberticide, ni leur mépris, n’ont entamé la volonté de les combattre quel qu’en soit le prix : on ne rappellera pas ces périodes de 1965, 1972, 1981, 1984, 2008 mais, celles qui s ‘accélèrent depuis février 2011. On disait que ce mouvement était mort ? C’est oublier que les germes de la contestation ne font qu’évoluer comme le montrent les manifestations syndicales et, surtout, ces mouvements de contestation du Nord au Sud, auxquels sont associés plusieurs cadres, artistes et intellectuels , cette magnifique campagne de boycott que le Maroc a vécue et en ce mois de février 2020, la manifestation à Casablanca pour dénoncer les inégalités sociales, pour une démocratie véritable et demander la libération des détenus politiques…La peur si elle ne change pas de camp ne pèse plus sur les épaules des laisser pour compte.
La prise de conscience des populations sur les nécessités de justice et d’égalité se développe de plus en plus au regard de l’accélération des contestations populaires dans le monde. Reste à trouver l’outil nécessaire pour y arriver et qui tienne compte des réalités et du vécu dans chaque pays.
Mehdi Ben Barka depuis 1958 posait cette question : quel instrument pour la réalisation de ces objectifs de démocratie, d’égalité et de justice ? Quelle nécessité de sa refonte, aujourd’hui, au regard de l’évolution tant économique, sociale, culturelle que technologique ?
Ne faut-il pas, aujourd’hui, explorer encore plus les voies d’une rénovation et d’une revalorisation du politique et du rôle des partis ? Face aux politiques de domination, d’injustice, de non droit, de servitude et de mépris n’est-il pas urgent encore une fois de donner une chance à notre avenir en s’accordant sur une forme de rassemblement des forces démocratiques, mouvements de contestation et organisations politiques ? Les divergences existeront toujours. Un rassemblement sans divergences n’est plus un rassemblement mais une unité à part entière qui ne pourra pas laisser la liberté d’expression des opinions diverses, nécessaire à la Démocratie. « La liberté c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. »[12]
Ce rassemblement des démocrates et des forces démocratiques devrait être aussi, tout en ayant des programmes à court et moyen terme, un véritable laboratoire pour la démocratie et établir une culture de l’union, basée sur la confiance, l’échange, l’humilité et débarrassée de tout « égo » pour une promotion populaire non pas au nom du peuple mais avec le peuple.
Mehdi Ben Barka a fait ce pari d’avancer avec le peuple. Sa proximité avec lui pendant la Route de l’Unité, (il leur parlait dans notre dialecte – Darija -), ses convictions selon lesquelles le développement, la démocratie et le socialisme ne peuvent se construire sans la participation du peuple, en sont des exemples. Le second congrès de l’UNFP qui s’est tenu du 25 au 27 mai 1962 était composé de 32% de paysans et 28% d’ouvriers.
Hayat Berrada Bousta
Rédactrice du site « Maroc Réalités »
Décembre 2020
[1] – Article rédigé en arabe en 1965 à Alger paru dans la revue « Talia » du Caire (N°2). En français dans l’Edition Maspéro-1966.
[2] – Intervention à la conférence de la solidarité des peuples afro-asiatiques- Tanganyika- 4-11 février 1963
[3]- Conférence donnée au Séminaire des Bénédictins à Tioumliline (Azrou) en Août 1957 devant des personnalités marocaines et étrangères. Parmi les personnalités marocaines, Maître Abdelkrim Bengelloun, Ministre de la justice du gouvernement A. Ibrahim. C’était l’un des premiers signataires du Manifeste pour l’Indépendance. Il a été exilé par les autorités coloniales en 1950 à la frontière algéro-marocaine.
Parmi les personnalités étrangères Louis Massignon qui a un parcours très intéressant, passionné par le Maroc et l’Islam dans sa lecture de Léon l’Africain. Il était surnommé « le catholique musulman » même s’il était agnostique à ses débuts.
[4] – Philippe Boniface, était sous –préfet. Charles-André Julien a caractérisé son action de « paternalisme autoritaire [au] mépris de la légalité et ne concevait d’autre politique que la force » (Le Maroc face aux impérialismes : 1415-1956, (1re éd. 1978. P- 192-193). Les déclarations de Boniface datent 40 ans après la loi 1905 sur la laïcité en France.
[5] – Discours devant le rassemblement populaire de Casablanca- 1/11 :1962. Cité par Abdelghani Bousta dans son intervention en 1996 sur la Démocratie chez Ben Barka.
[6] – Se référer au livre « Le Maroc disparu »- Walter Harris- 1921
[7] – Adam Barbe « Quand la France colonisait le Maroc par la dette » :http://www.cadtm.org/Quand-la-France-colonisait-le
[8] – A. Hlimi « Le Maroc de plus en plus addict à la dette extérieure » :
[9] – « La dictature du profit » – Vivianne FORRESTER- 2000 – En 1996, elle publiait « l’horreur économique » pour dénoncer l’idéologie libérale et le culte de la rentabilité.
[10] – Abdelghani Bousta- Interview avec Alyassar Addimocrati- Février 1996- https://www.maroc-realites.com/document/653
[11] – Ibidem 9
[12] – Rosa Luxembourg « la révolution russe »