Mars 1965 – Mars 2015 : Honneur aux victimes de la répression – 2015

Article publié après la visite de Bernard Cazeneuve au Maroc, le 15 février 2015 et que deux journalistes qui devaient réaliser un documentaire pour France3 se sont vus confisquer leur matériel par les autorités marocaines. Le ministre socialiste français, Bernard Cazeneuve, voulait décorer au rang d’officier de la légion d’honneur Hammouchi, ancien directeur du centre de torture de Temara alors qu’une plainte avait été déposé à son encontre en France, en février 2014.
Cet article est paru dans la publication de l’AFASPA.

Il y a 50 ans, du 22 au 27 mars 1965, le pouvoir marocain réprimait sauvagement la manifestation de jeunes lycéens et étudiants qui revendiquaient le droit à la culture et à l’éducation. Ils protestaient contre la circulaire du Ministère Marocain de l’Education Nationale qui voulait fermer l’accès du secondaire aux élèves âgés de 17 ans, écartant de fait les enfants qui avaient été retardés dans leur scolarisation en raison des difficultés matérielles des parents. Ils sont rejoints par leurs mères et leurs pères qui avaient fait des sacrifices pour leur permettre d’accéder à plus d’enseignement. Une semaine qualifiée de « sanglante » par un grand nombre de médias étrangers et qui connut le 23 mars la journée la plus meurtrière. Un massacre organisé et dirigé par le général Oufkir alors ministre de l’Intérieur de Hassan II. Des manifestants sont tombés sous les fusillades à balles réelles. Une majorité des victimes, parmi elles des enfants, est jetée dans des fosses communes à Casablanca. Plusieurs familles qui, inlassablement, réclament l’identification des corps attendent toujours malgré des promesses maintes fois réitérées depuis près de 15 ans.

Dans son discours du 30 mars 1965, le roi Hassan II déclarait : «  Il n’y a pas de danger plus grave pour l’Etat que celui de soi-disant intellectuels. Il vaudrait mieux que vous soyez illettrés. »

En juin de cette même année, 4 mois avant son enlèvement en plein centre de Paris le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka écrivait : «  Si la majorité de la population est maintenue dans la misère et l’inculture et si en plus, elle voit se fermer les portes de l’espérance, comment s’étonner que l’impatience prenne le masque du désespoir ». Il y a 50 ans, le crime d’états dans l’assassinat de Mehdi Ben Barka n’est toujours pas élucidé. La responsabilité de la France dans cette affaire n’est plus à démontrer. Jusqu’à aujourd’hui l’Etat Français refuse de lever le secret-défense sur tous les documents du SDECE concernant cette affaire qui a ébranlé la France du XXe siècle.

Ce 23 mars 1965 n’était pas le dernier massacre contre les manifestations de colère pour l’amélioration de la vie quotidienne d’une grande majorité de la population, pour plus de justice et de dignité : 1981, 1984 pour ne citer que les plus meurtriers.

Grâce au combat continu de toutes les forces démocratiques dans notre pays ainsi qu’à la solidarité du Mouvement des droits humains dans le monde, le régime fut contraint depuis plus de 20 ans à changer de pratique en la matière. On peut affirmer que nous n’assistons plus à ces massacres de masse tels que celui connu en mars 1965. Cependant, le système autocratique n’ayant pas changé, le roi régnant et gouvernant en maître, toutes avancées sont réversibles. C’est ce que nous constatons depuis plusieurs années alors que certains espéraient que l’intronisation de Mohamed VI en 1999 apporterait des changements véritables.

Peut-on mettre en avant que, malgré tout, c’est « mieux qu’ailleurs » ou « mieux qu’avant » pour tourner cette page ? La liberté d’opinion, les droits humains ne peuvent souffrir de relativisme de situation ou de temps. « Le combat pour les droits de l’Homme est un garde-fou contre la barbarie » disait en 2012 Louis Joinet, expert des droits humains auprès de l’ONU et il n’y a pas de relativisme en barbarie.

Les combats qu’ont menés, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, un grand nombre de militants démocrates marocains, les sacrifices qu’ils ont consentis pour le droit, la justice, la liberté et la démocratie nécessitent que l’on ne banalise pas cette question et que l’on n’y réponde pas de manière tactique et conjoncturelle.

La politique de non droit et d’intimidation persiste et se pratique de manière insidieuse en trompe-œil où choisissent de s’engouffrer les pouvoirs occidentaux. Ce fut le cas, dernièrement, de la France par la voix de son Ministre de l’Intérieur.

Nous n’oublions pas les invitations que la droite française a souvent adressées à un régime adversaire des droits humains les plus élémentaires : invitation du roi Hassan II à l’Assemblée Nationale en mai 1996 par Philippe Seguin alors président de cette Assemblée; son invitation par Jacques Chirac pour le défilé du 14 juillet en 1999 ; plus récemment, Nicolas Sarkozy en 2011, un an avant sa défaite en 2012 a gratifié de Chevalier de la Légion d’Honneur le Directeur de la Direction Générale de la Sûreté Territoriale (DGST), Abdeltif Hammouchi.

Mais qu’un ministre socialiste français, Bernard Cazeneuve, veuille décorer au rang d’officier de la légion d’honneur ce même Hammouchi, ancien directeur du centre de torture de Temara … si cette attitude n’a pas étonné certains, elle en a sûrement indigné plusieurs. N’oublions pas qu’une enquête est toujours en cours à Paris depuis qu’une plainte a été déposée en France en février 2014 par l’une de ses victimes, Zakaria Moumni. Cet ex champion du monde de kick-boxing a porté plainte pour sévices subis lors de sa détention en présence de A. Hammouchi et pour sa condamnation a 30 mois d’emprisonnement au terme d’un procès que Human Rights Watch a qualifié d’ « inéquitable ».

Sans compter que dès le lendemain de la visite de Bernard Cazeneuve au Maroc, le 15 février 2015, deux journalistes Jean Louis Perez et Pierre Chautard qui devaient réaliser un documentaire pour France3 ont vu la confiscation par les autorités marocaines de leur matériel, y compris de leurs téléphones. Ils seront renvoyés manu militari du sol marocain .

Et, le soir de ce 15 février 2015, des forces de l’ordre marocaines accompagnées d’une quarantaine de personnes en civil et armées d’instruments en fer font irruption dans les locaux de l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH) agressant Rabia Bouzidi.

Encouragé et impuni en raison de la décoration de A. Hammouchi, le Maroc a annoncé ce vendredi 27 février 2015 avoir assigne en diffamation à paris la victime des sévices. Est-ce une nouvelle politique répressive au Maroc où les responsables de torture assignent en justice leurs victimes ou leurs défendeurs d’autant qu’ils peuvent compter sur la France pour les décorer de la légion d’honneur ?

Quand les « socialistes » sont au pouvoir, on s’attend à plus d’attachements et de respect pour leurs déclarations en matière de droits humains et de liberté d’expression.

Ainsi, dans ce pays où des chanteurs, des poètes, des journalistes sont emprisonnés pour avoir exprimé leur indignation contre une politique répressive et de non-droit en particulier depuis le 20 février 2011, dans ce pays où des défenseurs des droits humains sont emprisonnés pour avoir élevé leurs voix contre une politique liberticide, le gouvernement français a choisi de gratifier l’un de ses responsables de répression.

Les intérêts d’état peuvent nécessiter de renforcer des liens avec un pays qui leur ouvre les portes des investissements à moindre frais ou qui leur sert de « gendarme » à la frontière. Ce « partenariat » économique a souvent été dénoncé par les démocrates car il alourdit la fracture sociale au Maroc, renforçant l’enrichissement indécent d’une petite minorité et laissant au bord du trottoir des milliers de personnes dont des enfants. Un partenariat qui, de ce fait, creuse le lit de l’intégrisme et de l’obscurantisme dont sont victimes les populations tant marocaines que françaises.

Toutes les victimes de la répression, de « l’indépendance » à nos jours méritent que l’on reste vigilant et que l’on résiste à toute tentative de banalisation ou de résolution mitigée et inaccomplie. Pour tous ces sacrifices, ces souffrances trop longtemps endurées, ces attentes des familles de disparus qui n’ont jamais baissé les bras pour connaître la vérité sur leurs proches, on ne peut pas oublier, on ne peut pas se taire, on ne peut pas admettre que la page d’un pouvoir répressif soit tournée. Il est temps que la lutte contre toutes les formes d’impunité se concrétise, seule capable d’écarter la récidive.

En hommage aux victimes du 23 mars 1965 et à ceux qui actuellement sont détenus, torturés, intimidés, insultés. Honneur à leurs combats pour la liberté et la dignité.

Hayat Berrada Bousta
23 mars 2015