Juin 1971- Juin 2016: Procès de Marrakech – 2016

Il n’y avait ni internet ni réseaux sociaux

UNE SOLIDARITÉ SANS PRÉCÉDENT CONTRE L’INJUSTICE ET LA TORTURE

 

« Après Burgos et Leningrad, l’opinion publique internationale a eu à connaître cette année un troisième grand procès politique, celui de Marrakech qui s’est ouvert le 14 juin dernier. » pouvait-on lire dans un article publié dans la revue Esprit  de septembre 1971. Comparaissaient à ce procès 193 militants et responsables de l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP). La plupart d’entre eux étaient des  ouvriers, paysans pauvres, petits commerçants, artisans, anciens résistants.

Un grand nombre de démocrates au niveau international s’étaient mobilisés en particulier en raison de la livraison par Franco au régime marocain  de deux militants progressistes. Après l’enlèvement du leader politique Mehdi Ben Barka, 5 années auparavant en plein centre de Paris, on assistait à deux nouveaux enlèvements à Madrid. « Une livraison scandaleuse » dira Maurice Buttin, secrétaire du Comité Internationale de défense et de solidarité avec les démocrates marocains créé à l’occasion de ce procès: « lorsque les premiers avocats marocains pourront enfin prendre contact avec Mohamed Ajar et Ahmed Bengelloun, ils apprendront, outre les divers sévices qu’ils ont subis pendant leur longue détention ignorée, que, pendant près d’un an, ils sont restés enchaînés.  [1]

La tentative  de coup d’Etat militaire qui eut lieu le 9 juillet 1971, moins d’un mois après le début de ce procès, présageait de lourdes condamnations. 48 condamnations à la peine capitale avaient été prononcées.

Auxquelles s’ajoutaient des peines allant de la perpétuité à plusieurs années de détention.

Une solidarité  sans précédent a regroupé un grand nombre de démocrates de tous les pays. Il n’y avait pas Internet, ni réseaux sociaux… Des démocrates de tout horizon descendaient dans la rue.

Albert-Paul Lentin, président du Comité International de Défense écrivait dans un article publié dans la revue  Africasia [2] : « La partie se joue maintenant devant l’opinion mondiale. Les têtes que le pouvoir voudrait faire tomber seront peut-être sauvées(…) si, partout, les progressistes font échos à la voix des courageux étudiants marocains lançant, sur la plus grande artère de Rabat, face aux policiers, ce cri de défi : nous sommes tous des inculpés de Marrakech ». De nombreuses sections d’associations de marocains à l’étranger ont observé qui, une grève de la faim, qui des mobilisations diverses.

Les travailleurs de la région parisienne (les Usines Chausson) ont répondu à l’appel des syndicats et des organisations démocratiques et, en faisant grève, ont porté leurs motions de protestation à l’ambassade du Maroc.Des banderoles étaient accrochées dans les rues de plusieurs villes pour sauver les têtes.

Ces vagues de protestation, ces solidarités nationale et internationale ont fait reculer le pouvoir. Alors que 48 condamnations à mort avaient été prononcées, le verdict en septembre 1971 en a retenu une seule, celle de Mohamed Ajar qui ne sera pas appliquée. Après leur libération, ces victimes restent marquées par les tortures subies.  Au cours de ce procès « le Ministère public a demandé de ne plus évoquer les conditions des inculpés, ayant constaté que certains « accusés » continuent à dénoncer les tortures et les quatre mois et demi de garde à vue » [3]. Les  certificats de médecin en attestent [4] et l’un d’entre eux Moujahid Kacem, ouvrier de 28 ans, meurt sous la torture.

« La torture est-elle une institution au Maroc ? » titrait le Comité International de Défense des prisonniers de Marrakech.

Aujourd’hui, 45 années après, la torture est toujours une pratique courante au Maroc. Malgré un changement dans la pratique de la répression grâce aux mouvements des démocrates marocains et dans le monde, on assiste à des pratiques que l’on espérait révolues mais qui ont toujours cours.

Mr Jack Lang, Directeur de l’Institut du Monde Arabe depuis 2013, affirmait dans une émission de France3 consacrée au roi Mohamed VI [5] concernant l’utilisation de la torture au Maroc: «moi, je n’en n’ai pas la preuve». Depuis le règne de « son ami le roi »:

  • La prison secrète de Temara a torturé des centaines d’islamistes avant sa fermeture en 2011. Quels que soient les actes ou les propos de ces personnes, on ne peut admettre la torture. Sinon, on ne fait que reproduire en toute impunité les mêmes actes et on inscrit celle-ci dans une « culture » qui risque d’être durable. Une spécificité que l’on tendrait à admettre.
  • Le rapport annuel de 2012 de Human Rights Watch qui, après avoir relaté les cas de répressions et de violences subies par les militants et les populations marocaines, critique le soutien de l’Occident à la monarchie marocaine.
  • En mars 2013, Juan Mendez, rapporteur spécial sur la torture auprès de l’ONU publie un  rapport accablant sur l’utilisation de la torture au Maroc.
  • En 2014, à l’issue d’une enquête de plusieurs mois, l’Association ACAT,  a déposé une plainte contre le Maroc au nom de M. Naâma Asfari, Sahraoui de nationalité marocaine qui  a été arrêté par les forces de sécurité marocaines et a subi de graves sévices. Abdeltif Hammouchi, Directeur de la Sûreté, avait été mise en causeet certains prisonniers l’ont mis en cause pour tortures subies.

Alors qu’une plainte court toujours, Bernard Cazeneuve annonce vouloir promouvoir ce dernier comme officier de la légion d’honneur. Le Président de la République, François Hollande l’approuvera lors de sa visite à Tanger en septembre 2015:“(…) après que M. Hammouchi avait été fait chevalier de la Légion d’honneur en 2011, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a annoncé en février dernier qu’il serait promu comme Officier ». Ainsi, François Hollande ne fait que poursuivre la politique de  son prédécesseur Nicolas Sarkozy… La décence et l’esprit de justice aurait voulu qu’ils s’abstiennent de ce geste.

Comment évoluent cette colère et cet engagement contre les tortures, l’injustice, les passe-droits et toutes les formes d’impunité ? Comment évoluent les solidarités internationales ? L’existence actuelle de réseaux sociaux ont le potentiel, s’ils sont utilisés à bon escient, de les renforcer.

Les mouvements de contestations trouveront les formes nécessaires pour exprimer leur colère contre l’indignité et l’injustice et pour la liberté. Le Printemps dit arabe, les Indignés, les Nuit Debout… quels que soient les effets actuels de ces actions, quelles que soient les difficultés de faire aboutir ces combats pour la dignité humaine, l’Histoire des peuples s’écrit et avance malgré ceux qui placent leurs intérêts personnels au – dessus des besoins des peuples et faillent à leurs convictions premières.

Hayat Berrada-Bousta
14 juin 2016


[1] – « Défense et solidarité avec les démocrates marocains »- Brochure publié par le Comité Internationale de Défense. P.16.

[2]- Bimensuel Africasia  –  N° 44- 05 au 18 juillet 1971. Fondée en 1969 par Simon Malley, « Africasia » deviendra peu de temps après « Afrique Asie » actuellement dirigée depuis 2005 par Majed Nehmé.

[3]- Article du journal  marocain l’Opinion- 1er juillet 1971

[4]-  Défense et solidarité avec les démocrates marocains »- Brochure publié par le Comité Internationale de Défense. P37-39.

[5]- Emission France 3 – Jeudi  26 mai 2016.