Dans son numéro du 25 novembre 2000, l’hebdomadaire « Le Journal » avait publié la traduction française de la lettre de Mohamed Basri, adressée en Août 1974 à A.Youssoufi et A. Bouabid responsables politiques de l’Union Nationale des Forces Populaires et qui leur avait été envoyée par Abdelghani Bousta qui en avait gardé des exemplaires. Cette lettre paraîtra dans certains journaux en langue arabe sous sa forme imprimée et non manuscrite.
Cette lettre avait suscité un déchaînement de critiques et de contre-vérités : les uns remettaient en cause l’existence de cette lettre, d’autres fustigeaient contre cette parution en ce moment…
Le nom de Abdelghani Bousta, décédé le 21 septembre 1998, a été souvent cité car c’est lui qui en aurait remis une copie imprimée en langue arabe à Omar Serghouchni en 1998. Ce dernier a affirmé que ce n’était pas pour qu’elle soit publiée
« La seule vraie politique est la politique du vrai »
-Mehdi Ben Barka- .
A la Mémoire de mon époux et camarade, Abdelghani Bousta, qui détenait une copie de la lettre de M.Basri et qui ne voulait pas la publier hors de son contexte historique, souhaitant qu’elle serve d’argument, parmi d’autres documents, à une analyse critique de l’Histoire du Mouvement Ittihadi (UNFP) dans le cadre de l’évolution socio-économique et politique de notre pays.
A sa Mémoire, lui qui a donné de sa personne pour que la lutte pour la démocratie se fasse dans la transparence et qui, malgré sa maladie, ne s’avouait jamais vaincu et s’est mis au service de ses convictions jusqu’à la fin, citant souvent Max Friche « celui qui lutte peut perdre, celui qui renonce à lutter a déjà perdu ».
Après le déchaînement de critiques qu’a suscité la publication de la lettre de M.Basri destinée à ses camarades A.Bouabid et A.Youssoufi et dans laquelle il affirme, entre autres, la participation de la gauche marocaine à la tentative de coup d’Etat du 16 août 1972 contre Hassan II, force est de constater que cette lettre existe bien puisque Mohamed Basri veut l’inscrire au débat du prochain congrès constitutif de l’USFP.
Pour ma part, interrogée dès le 30 Novembre 2000, j’ai confirmé l’existence de cette lettre. C’est une lettre manuscrite, datée du 8 août 1974 et signée par Mohamed Basri.
Dans un document imprimé, daté du 11 octobre 1974 et destiné au congrès de L’USFP, M.Basri fait allusion à cette lettre en reprochant à A.Youssoufi et A.Bouabid de ne pas lui avoir répondu.
Le 15 novembre 1974, il leur envoie une autre lettre dans laquelle il s’interroge sur leur silence.
Bien qu’ayant été indirectement interpellée après la publication de cette lettre, je n’ai pas voulu rebondir de manière réactive.
J’ai souhaité me détacher de toutes ces réactions et propos orientés essentiellement sur la périphérie de cette lettre et non sur son sens et sur les leçons que l’on peut en tirer.
Le jour viendra où, documents à l’appui, l’Histoire sera interpellée pour que le Vrai puisse nous guider vers l’avenir. Aujourd’hui, au lieu d’un réel débat politique sur notre histoire, nous assistons à la parution d’autres documents, en dehors de leur contexte, orientant le débat vers un règlement de comptes entre A.Youssoufi et M.Basri par personnes interposées.
M.Basri serait un « écervelé » et un vieux comploteur, d’après Hamid Berrada. Pourtant, en 1987, ce dernier écrit à son sujet, lors d’une interview : « S’il (M.Basri) ne rechigne pas à critiquer son activité passée, il ne renonce pas à ses convictions essentielles. Cette attitude nous paraît exemplaire, sinon consubstantielle à la démocratie. » (Hebdomadaire « Jeune Afrique », 8 juillet 1987).
En tant que militante du Mouvement Ittihadi depuis 1968 et témoin de cette période, je peux dire, entre autres choses, que certains dirigeants du parti ont opté pour toutes les formes de lutte, souvent en coulisses, se passant de la participation des militants pour la prise de décision et sans avoir ni stratégie ni programme clairs.
Ils se sont ainsi appropriés le parti en interdisant tout débat franc et public.
Ces comportements ont entraîné plusieurs militants dans des divergences et de faux débats au moment même où s’abattait sur eux une répression farouche qui conduira certains d’entre eux à la mort, l’emprisonnement ou l’exil. « Le Mouvement Option Révolutionnaire a toujours combattu la ligne réformiste-aventuriste au sein du Parti (…) Il a toujours considéré que le réformisme et l’aventurisme sont deux faces d’une même monnaie ”. (Revue « Option Révolutionnaire « , 1983).
Les militants et la gauche marocaine dans son ensemble risquent à nouveau de payer la facture de ces règlements de comptes. C’est un danger qui peut faire ressurgir les démons de ce que l’on appelle « les années de plomb » de notre histoire récente.
Aussi, loin de cette cabale démesurée, loin de passions exacerbées, il est nécessaire de recadrer le débat, après avoir interpellé l’Histoire pour ne plus réitérer les erreurs du passé, ces erreurs « mortelles » que soulignait Mehdi Ben Barka en 1962.
Cependant, le devoir de Mémoire ne doit en aucun cas occulter les responsabilités présentes et futures. Il devrait nous permettre, à la Mémoire de nos martyrs, d’approfondir le combat sur des bases plus transparentes : le combat contre la corruption, contre l’impunité, pour la recherche de la vérité sur les disparus, l’égalité de droits entre les femmes et les hommes ainsi que toutes les composantes de la société et pour l’instauration d’un Etat de droit.
Lors du débat sur l’alternance, en 1995, Abedlghani Bousta écrivait : « (…) Il est grand temps pour les forces démocratiques de notre pays de se rassembler pour faire aboutir, par la lutte démocratique conséquente et unitaire, les revendications constitutionnelles et politiques urgentes de notre peuple : La révision globale et radicale de la constitution afin d’asseoir les fondements de l’Etat de droit et de la démocratie. ( …) Le temps ne joue pas en faveur de la démocratie, la misère rampante et l’analphabétisme non plus. Plus le temps passe sous l’égide de la politique actuelle, plus les problèmes socio-économiques s’approfondissent allant vers des points de non-retour, et plus la facture du changement démocratique sera lourde à payer… » .
Hayat Berrada – Bousta – 10 Janvier 2001 –
(Parue dans le journal marocain Reporter)