L’ union contre la contradiction principale, quels enjeux? – 2011

Lors des manifestations et Marches du Mouvement du 20 février 2011 participaient, dès le début, des militants de Partis islamistes dont le Mouvement « Justice et bienfaisance » (Al Adl Wal Ihsane), un parti islamiste interdit mais toléré par les autorités marocaines. Les dissensions au sein du Mouvement du 20 février sont apparues entre islamistes et militants laïques qui aboutira au retrait des islamistes.

Le Mouvement du 20 février au Maroc résiste et signe son engagement dans la lutte pour la dignité de tous. Cette lutte passe nécessairement par des revendications de changement profond du système en place.

Le régime n’a pas répondu à ses attentes même minima. On assiste, comme le montre le dernier discours royal, à un non discours  et il n’est même plus utile de le souligner. On tente encore une fois à plier et soumettre la volonté populaire à une oligarchie régnant et gouvernant, à asphyxier en définitive l’avenir de tout un peuple. C’est ce type de discours et cette attitude qui développeront aussi un obscurantisme tant décrié.

La résistance dont fait preuve le Mouvement du 20 février est partie intégrante de l’histoire des luttes dans notre pays auxquelles le pouvoir a toujours répondu par la répression sous toutes ses formes.

Notre histoire est jalonnée d’une répression des plus criminelles avec son lot d’arrestations, de torture, d’enlèvements et d’exécutions, malgré une façade démocratique qui a voulu nous faire croire aux aspirations de la démocratie, d’une alternance qui a installé au pouvoir en février 1998, sans rien changer au système, ceux qui, hier, militaient contre le pouvoir.

Mais, la persistance dans le combat pour le droit et la justice n’a pas cessé et prendra aussi la forme de l’engagement de la société civile qui culmine aujourd’hui dans le combat que mène le Mouvement du 20 février depuis 8 mois.

Comment ne pas continuer à résister ? Comment nos enfants pourraient-ils oublier ce qu’ont enduré leurs parents ? Comment des femmes et des hommes pourraient faire le deuil de leurs parents disparus ?

Plusieurs familles et en particulier celles des militants disparus souffrent toujours de cette répression. D’anciens prisonniers politiques et exilés, démunis, en souffrent toujours psychologiquement.

Depuis la répression de 1956, au lendemain de «  l’indépendance » jusqu’à aujourd’hui, la gauche marocaine a subi des vagues successives de répression:

Il y eut les années de plomb avec ses exécutions en particulier pendant les années 60/70 et l’horreur de Tazmamart.

Les morts dans les prisons : en Novembre 1977, Saïda Menebhi, militante du groupe Ilal Amam meurt en prison. Elle écrivait un mois avant son décès : «  (…) et nous avons gardé le sourire, nous avons tenu bon et affronté les douleurs car nous savons qu’être en prison n’est pas un problème. Il s’agit d’aller de l’avant. »

Il y eut les violences et les massacres des mouvements populaires.

23 Mars 1965 : répression sanglante du soulèvement. Ce 23 mars a fait plusieurs morts dont un certain nombre de femmes dont le crime était de croire en la possibilité pour leurs enfants de sortir de l’illettrisme, qui avaient l’espoir que l’éducation contribuerait à aider leurs enfants dans la vie et qui avaient tout sacrifié pour ceci.

On avait touché à leurs enfants….

En réponse à cette colère, Hassan II, une semaine après ces évènements dira lors de son allocution le 30 Mars «  Il n’y a pas de danger plus grave pour l’Etat que celui de soi-disant intellectuels. Il vaudrait mieux que vous soyez illettrés. »

Juin 1981: une répression dans le sang en ce 20 juin à Casablanca. Les morts ont rejoint ceux de 1965 dans les fosses communes qui devaient, selon l’IER, être ouvertes pour identifier les morts. Rien ne sera fait.

Janvier 1984 au Nord du Maroc, des manifestations estudiantines se terminent dans un bain de sang. Ce fut un massacre des populations que Hassan II avait qualifiées dans son discours de «  awbach » à savoir de « déchets »…

Et, il y a les enlèvements et disparitions forcées : enlèvement et assassinat de Mehdi Ben Barka au cœur de Paris. Tous les 29 octobre depuis 46 ans, sa famille et ses amis, ses compagnons et leurs enfants et petits enfant se rassemblent à la brasserie LIPP où il fut enlevé.

L’enlèvement de Houcine El manouzi, en 972 : le certificat de décès récemment donné à sa famille est un faux selon cette dernière.

Omar Wassouli dont la mère décèdera sans connaître la vérité sur le sort de son fils…..

Et bien d’autres… Hommage aux familles qui restent vigilantes et continuent à demander sans relâche la vérité sur la disparition forcée de leurs parents et à connaître les lieux de leurs sépultures.

Dans les années 90, le régime a été acculé à changer de pratique répressive grâce au combat des démocrates et à leurs différents sacrifices. Il a ensuite reconnu ces années de plomb et, ce faisant, il a voulu arracher ces pages sombres de sa politique répressive sans identifier les responsables. Mais les familles, les démocrates ont toujours été présents pour ne pas les tourner sans connaître la Vérité.

Ce changement de pratique répressive n’a pas éradiqué la répression et la torture sévit toujours dans notre pays. Celle – ci a continué : les lycéens et étudiants dans les années 90 et 2000 étaient bastonnés et arrêtés : répression dans les facultés à Marrakech, à Casablanca, à Fes…. Le lieu de détention secret de Témara et les tortures subies par les prisonniers nous rappellent des années que nous pensions dépassées…

Des manifestations de masse étaient réprimées dont celle de Sidi Ifni en Juin 2008 qui a connu une période de violence de la part des forces de l’ordre. …

Les derniers morts et arrestations du Mouvement pacifique du 20 février dénotent de la nature toujours répressive du régime malgré un certain dosage pour ne pas dévoiler à l’opinion internationale sa « démocratie » de façade.

Depuis «  l’indépendance » les cris du peuple marocain ont été suivis de répression sanglante et les responsables de ces crimes ne sont toujours pas punis et sont toujours au pouvoir.

Ces cris du peuple, cette Mémoire de résistance, le Mouvement du 20 février les ont fait renaître «  Où sont donc les luttes passées, elles ne font que se développer »…scandent les manifestants.

Le Mouvement du 20 février a su faire culminer les mécontentements en les généralisant dans tout le pays et en résistant dans la durée. C’est cette colère contre toutes les formes d’impunité conjuguée à une dégradation sociale et économique qui expliquent cette prise de conscience d’une population, déchirée, ignorée, instrumentalisée et qui continue toutes les semaines à sortir dans la rue.

Cette expérience entamée par le Mouvement du 20 février et qui perdure malgré la politique d’usure, de démystification, malgré les baltajias payés pour intimider et violenter, malgré les morts et les arrestations, ces manifestations de colère conduites avec maturité et pacifisme contribuent à élever le niveau de conscience politique de la population. Comme l’écrivaient Allan Popelard et Paul Vannier « C’est pourtant dans cette ville aliénée par la puissance expropriatrice des capitaux et des fantasmagories que les habitants ont tenté de développer un mouvement révolutionnaire. En interrompant le cours ordinaire des existences, l’irruption démocratique a laissé effleurer le peuple, là où le tourisme le maintenait identique à sa représentation dans le décorum de ses espaces folklorisés. A la faveur du mouvement du 20 février, la ville est apparue non plus comme une cité touristique, mais comme la base territoriale d’une communauté politique« .1

Ces Mouvements de liberté ont bousculé les préjugés des uns et ont entamé la politisation de sociétés que l’on pensait engluées dans ses conditions de vie précaires et que l’on identifiait comme aliénées au « Maktoub ».

L’unité dont a fait preuve ce Mouvement ainsi que son action pacifique sont certes exemplaires.

Cette union contre la contradiction principale (le Makhzen et ses acolytes, le mépris institutionnalisé, la corruption comme méthode de gouvernance et cette insolence éhontée d’une richesse étalée au grand jour au mépris de ceux qui souffrent de la misère) est un enjeu qui peut permettre certains changements.

Néanmoins, il ne s’agit pas d’oublier que c’est l’union de forces d’orientation différentes voire antagonistes et qu’elle aura ses limites comme l’histoire nous l’a montré : l’unité de la résistance contre les colonisateurs n’a-t-elle pas éclaté après « l’indépendance » avec ses règlements de compte, pour ne citer que cet exemple.

Si l’union est un enjeu nécessaire, la clarification sans ambiguïté des fondamentaux des revendications pour le droit, la liberté et la démocratie au-delà et/ou dans le cadre même de l’unité contre le Makhzen est salutaire.

  1. Parler d’égalité en droits c’est aussi résister contre toute tentative de la relativiser. Dès lors, on ne peut pas faire l’impasse sur l’égalité des droits entre les femmes et les hommes à tous les niveaux dont celui de l’égalité des droits dans l’héritage.

Peut-on toujours prétexter que «  l’on a des priorités » pour ne pas poser cette question de l’égalité des genres ? Celle-ci est partie intégrante des droits humains dans leur globalité. L’histoire nous a montré qu’en reléguant au second plan cette question, on a « oublié » de la résoudre fondamentalement par la suite et l’on a perpétué chez les hommes comme les femmes, des mentalités basées sur «  l’inéluctable » inégalité.

  1. Parler de liberté c’est un combat pour sa globalité et on ne peut laisser sous silence la nécessité du respect de la liberté de conscience et la séparation du religieux et du politique. La question de la laïcité doit être clairement posée et débattue dans le respect des convictions de chacun. Se battre pour la liberté d’expression tout en imposant les pratiques religieuses à tous est une attitude incohérente au regard de la liberté.

Le Maroc est certes un pays musulman mais revendiquer la liberté, n’est-ce pas aussi reconnaître la liberté de conscience et admettre que chacun puisse pratiquer ce qu’il veut, ses convictions personnelles quelles que soient ses origines cultuelles.

« La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n’est pas la liberté. » 2

  1. Quant à la démocratie, elle ne peut, elle non plus, être émiettée.

Il ne s’agit pas seulement de choix de gouvernance qui nécessite que « les détenteurs véritables du pouvoir politique », soient pliés «  à la volonté populaire », il s’agit aussi d’un véritable travail sur soi, une déconstruction de l’aliénation et d’esprit de domination et de soumission.

Certes nous sommes toujours sous l’emprise d’une idéologie féodale que maintient la gouvernance par sa politique d’allégeance et de baise – mains, mais les démocrates ne doivent-ils pas déconstruire ces emprises culturelles du passé.

En ce sens, au-delà des revendications justes et légitimes qui ont ébranlé le pouvoir et ont basculé les a priori et les stéréotypes qui consistaient à clamer que la recherche de la démocratie était propre à l’Occident, le Mouvement du 20 février, avec ses différentes composantes et ses militants adhérents ou non à telle ou telle organisation politique, en clarifiant les principes inaliénables des droits humains et en plaçant la démocratie, la liberté et le droit non seulement dans les slogans mais dans la réalité des comportements de chacun, doivent veiller à ne pas être récupérés, entre autre, par :

1- Ceux qui, en s’unissant à ce combat, voudraient émietter les fondamentaux : l’égalité en droits, la liberté dont celle de conscience, ces principes de base de toute démocratie véritable.

 La crainte d’une récupération islamiste pour les défenseurs de la liberté est justifiée comme cela se pose en Tunisie, en Egypte, en Libye ou ailleurs.

« Le soutien matériel, moral et logistique fourni en particulier par les Etats islamistes pèse lourd dans la balance. Ainsi que l’attitude des puissances occidentales. Dénonçant formellement l’intégrisme, certaines parmi elles ont contribué historiquement à sa naissance et son développement dans plusieurs régions du monde. Utilisé par le passé comme épouvantail contre le communisme et les forces progressistes, il est encouragé en sous main pour affaiblir le tiers-monde, le museler, accentuer sa dépendance et faire capituler les régimes nationaux et progressistes.3 (…) 

Certes, les pratiques et comportements islamistes n’ont rien avoir avec ceux des intégristes ; Cependant, ces organisations n’ont pas de position claire sur la liberté de conscience et sur la nécessité de séparer le droit marocain de la Charia.

2- Ceux qui ne remettraient pas en cause le sectarisme politique, la course au pouvoir et les velléités de chef « indéboulonnable » et pour qui la vraie démocratie ne s’appliquerait qu’aux seules institutions mais non pas à la structure de partis ou d’associations et à nous-mêmes dans nos comportements quotidiens privés comme publiques.

Dans l’histoire du Mouvement progressiste, n’avons-nous pas assisté à des opportunismes, des sectarismes, des luttes intestines de pouvoir qui ne font qu’affaiblir et reculer nos objectifs fondamentaux.

N’avons-nous pas assisté au niveau de bien des directions de partis, à la reproduction de relations de domination et de « patriarcat » ?

N’oublions pas qu’il ne peut y avoir de démocratie sans démocrates. Pour nous tous, c’est un travail sur nous-mêmes.

Le Mouvement du 20 février, par sa diversité, a le mérite, entre autre, d’avoir accentué la brèche de la généralisation de ces interrogations dans l’espace publique comme au sein des organisations politiques. Ses militants ont secoué les directions de tous les partis politiques qui devraient leur laisser une place légitime à la direction pour permettre le développement et l’approfondissement des choix fondamentaux pour la liberté, le droit et la démocratie.

Hayat Berrada-Bousta
3 septembre 2011


1 – Article  » Les deux Marrakechs » d’Allan Popelard et Paul Vannier in le Monde diplomatique d’Août 2011
2Max Stirner in «  l’Unique et sa propriété »
3 – Abdelghani Bousta  » intégrisme ou démocratie au Maroc? » in revue « Hérodote »- 3ème trimestre 1995. Publié dans Maroc Réalités