Ben Barka – 50 ans de raisons d’états – 28 Octobre 2015

A propos de la conférence qui s’était tenue à Paris le 24 octobre 2015 à l’occasion de la cinquantième année de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka sur le thème de « la raison d’Etat dans les crimes politiques ».

“ J’accuse et le pouvoir marocain et le pouvoir français”  affirme sans ambiguïté l’avocat infatigable de la partie civile dans l’affaire Ben Barka. Depuis 50 ans Maurice Buttin accompagne la famille du leader politique marocain dont l’action et le rôle dépassent la frontière marocaine et qui fut avec Che Guevara l’un des leaders contre l’impérialisme, les  réactions internes et pour la solidarité des peuples du Tiers-Monde.

Cet enlèvement/assassinat implique plusieurs États: le Maroc et “Hassan II en tête” selon  Maurice Buttin, la France, les États-Unis ainsi qu’Israël où Oufkir s’était rendu officieusement en 1 965 comme on peut le lire dans un entrefilet de l’Express:

Dix juges se sont saisis de cette affaire qui a ébranlé la France du XXème siècle. Les commissions rogatoires n’ont jamais été exécutées, le mandat d’arrêt international est bloqué. « Seuls 23 dossiers sur les 80 existants et 150 pages par dossier sur les 450  ont été remises. Elles auraient été déclassifiées  car hors sujet » rapporte Me Maurice Buttin lors de cette conférence. Mais, ajoute l’avocat de la famille: qui peut affirmer que des pages sont hors-sujet si ce n’est la partie civile et son avocat?

Secret d’Etat, raisons d’Etat comment un État de droit peut cautionner ces pratiques quand il s’agit de crimes et tortures?

Pierre Joxe qui intervenait ce 24 octobre 2015 disait que la raison d’Etat dans les pays de droit devrait être abandonnée non seulement en raison des drames que l’on pousse à oublier mais  parce qu’elle façonne une “certaine idée du droit et de la justice” mais aussi “une vision de l’avenir et des relations internationales.”

Pour Me Beaudoin, président d’honneur de la FIDH, “La France est prisonnière de la raison d’Etat” ou “la raison d’Etat dissimule mieux nos méfaits”. Il énumère plusieurs autres cas où la raison d’Etat a été invoquée comme celui de l’assassinat des moines décapités en Algérie.  “Dans ce dossier, Il y eut en définitive obstruction de l’Algérie et blocage de la France qui ne soutient pas la partie civile.”

Dans bien des affaires, les parties civiles semblent confrontées à ce que Me Beaudoin qualifie de “situation schizophrénique”. D’une part, les États qui ont ratifié la Cour Pénale Internationale  ont les moyens de poursuivre les personnes selon la loi d’adaptation de 2010 (on adapte pour se permettre de juger) mais d’autre part on a mis plusieurs verrous pour empêcher les poursuites parmi lesquels:

  • La personne accusée doit avoir une résidence habituelle en France alors qu’elle a commis des actes de tortures dans son pays et qu’elle ne vient en France que pour des courts séjours en hôtel. Il y a 2 ans, le Sénat a voté la création d’un pôle de magistrat contre les crimes contre l’humanité précisant qu’il suffit que le suspect se trouve sur le sol français pour être poursuivi. Mais cette loi n’est pas encore venue au parlement.
  • Le crime doit être poursuivi dans l’Etat où ce crime a eu lieu alors même que ces crimes sont commis par des représentants de cet Etat.

Face à ces incohérences volontaires, les parties civiles et leurs avocats sont souvent démunis et les dossiers sont bloqués. Pourtant, le documentaire de Joseph Thual “ Ben Barka, l’obsession” avance des preuves plausibles. Des fouilles au PF3 à Rabat permettraient d’avancer vers des preuves tangibles d’un charnier que l’on tente d’occulter.

Comme l’affirme Bachir Ben Barka “ La vérité se heurte au montage de la raison d’Etat qui organise le silence autour de la vérité”.

Du côté français, en 1981, on pouvait espérer assister à des rebondissements et des avancements dans cette affaire. On attendait  que la vérité soit dévoilée permettant à la famille de faire son deuil, pendant les 14 années de pouvoir de François Mitterrand.

Aujourd’hui, la situation internationale et les actes terroristes dans le monde se prêtent à l’instrumentalisation  pour ne pas poursuivre des responsables de crimes et tortures en invoquant les raisons d’Etat.

Du côté marocain, à cette raison d’Etat s’ajoute une réalité d’un pouvoir autocratique. En 1998, Mr Youssoufi, secrétaire de l’Union Socialiste des Forces Populaire(U.S.F.P), ancien compagnon de Mehdi Ben Barka est nommé premier ministre socialiste sous le règne de Hassan II. Il aurait pu contribuer à un début de clarification de cette affaire. Rien.

Après la mort de Hassan II, en 1999, le nouveau roi Mohamed VI, peu de temps après son intronisation, avait manifesté à la famille son souhait de connaître la vérité. On aurait pu espérer que Mr Youssoufi, toujours premier ministre, aurait la volonté politique pour se saisir de ces propos. Rien.

Maurice Buttin constate que “ Les associations marocaines des droits humains font du bon travail. L’Union Socialiste des Forces Populaires ne fait rien”.

En 2015, un second comité pour la vérité dans l’affaire Ben Barka fut créé. Le fils du  leader politique en précisait l’objectif ” aider la partie civile en direction des autorités politiques et médiatiques pour le déblocage du dossier”.

Les solidarités nationale et internationale ne désarment pas. La recherche de la vérité s’inscrit non seulement dans la solidarité avec une  famille, son courage et la pérennité de son combat  mais aussi avec des convictions inébranlables pour la justice, le droit et contre toutes les formes d’impunité.

Malgré toutes les entraves d’Etat à la connaissance de la vérité, on espère toujours que la volonté politique primera dans cette affaire et sera un exemple pour que l’abandon de la raison d’Etat dans les crimes et actes de torture donne au Droit et à la Justice leurs raisons d’être dans la défense de l’Humain.

Hayat Berrada-Bousta
28 octobre 2015