Ben Barka, 50 ans déjà – Hommage à une famille – 2015

Rhita Bennani Ben Barka avec à droite sa fille Faouz- Derrière elle, Maurice Buttin, l’avocat de la famille-
Au micro, son fils Bachir- A gauche son fils Saad
Photo prise par Saïd Laayari

La Brasserie Lipp, lieu de vies croisées en mémoire de moments de combat, d’indignation, est l’espace de rencontre en hommage à la mémoire vivante de Mehdi Ben Barka. En ce demi-siècle de sa disparition, c’est le témoignage de respect à une famille qui ne désarme pas. Rhita Bennani-Ben Barka n’avait que 30 ans à la disparition de son mari. Une grande dame qui, face à différentes formes d’adversité, marque son parcours d’une humilité exemplaire par sa persévérance pour la vérité.

Le 29 octobre a toujours été la date qui mobilisait plusieurs d’entre nous pour la vérité sur l’enlèvement de Mehdi Ben barka. C’étaient à ses écrits, à son parcours, à cette  figure internationale qui avait su,  par un dynamisme sans nom, rappocher la Chine de l’Union Soviétique à travers leurs peuples, rencontrer Guévara, Ben Bella, Fidel et Tito…

Toutes les fois que l’on se rassemble devant la brasserie Lipp, c’est toujours lui qui est  présent parmi nous, lui qui, par ses écrits, ses trajectoires m’ont confortée personnellement dans l’engagement au sein de l’ Union Nationale des Forces Populaires (l’UNFP). Mehdi Benbarka nous « appartient » à tous…

Certes, la page ne sera jamais tournée tant que nous ne saurons pas la vérité, certes c’est une exigence pour nous tous de la revendiquer et de continuer le combat contre toutes les formes d’impunité…

Mais, aujourd’hui, en cette 50ème année de cet enlèvement/assassinat, c’est particulièrement un hommage que je voudrai rendre à sa famille.

Rhita, cette grande dame, la persistance dont elle fait preuve en ce mois si difficile pour elle, ce mois  que tant de souvenirs viennent immerger. Cette dame qui, dans l’humilité, partage tant de positions et de principes de justice, de liberté et de dignité. Depuis l’âge de 30 ans, c’est toujours debout qu’elle revendique la vérité sur le sort de son conjoint. Elle a su élever ses enfants mais aussi  son neveu et sa nièce. Elle est la colonne vertébrale de cette famille. Elle a semé en eux tous, ce courage de ne pas laisser tomber et qu’ils assument si bien. Merci, chère Rhita, pour ce que tu es.

Bachir… Lorsqu’en 1968 ou 69 je l’ai rencontré alors qu’il était au lycée Champolion à Grenoble, je ne faisais pas le lien entre lui et Mehdi ou du moins, je ne pensais pas que,  parce qu’il était le fils, il “connaissait” le père. Je me rappelle encore ce 29 octobre 1968 ou 69, lorsque pour la première fois je faisais une intervention en hommage à Mehdi Ben barka à la Maison de la Promotion Sociale de Grenoble. Devant un parterre de militants de toutes nationalités, après la minute de silence en recueillement à Mehdi Ben Barka, un camarade congolais s’est levé pour dire : «  pour cet homme, ce n’est pas une minute de silence qu’il faudrait mais une heure de silence ».

Bachir est depuis bien longtemps celui qui, au nom de sa famille, donne à cette journée toute l’émotion certes, mais l’esprit de résistance pour que la vérité éclate.

Faouz… Il n’y a pas pour moi de mots pour qualifier son courage, ses capacités à surmonter de si mauvais moments…Elle n’était que préadolescente quand le drame est survenu. Que de courage et quelle force de caractère et, cela, dans l’humilité et la discrétion louables. Respect, chère Faouz.

Saad… par ses gestes et surtout son regard, me fait penser à Mehdi ou du moins aux photos de Mehdi: ces froncements de sourcils, ces yeux qui bougent si vite…

Mansour…ce suisse dont le rire communicatif ne peut laisser indifférent. On n’a pas beaucoup l’occasion de se voir mais c’est toujours avec ce plaisir de mêler le sérieux à la légèreté du dire.

Mais je ne peux pas penser à la conjointe et aux enfants de Mehdi sans saluer le frère de Rhita. Il va probablement ne pas l’approuver mais il est difficile de ne pas témoigner de l’amitié, de la reconnaissance pour Ali Bennani, toujours présent, toujours à l’écoute, partageant sa vie avec sa soeur, ses neveux et sa nièce. Il semble avoir fait le choix de se fondre dans cette responsabilité honorable et l’exprimer comme une attitude qui «  va de soi ». Il la pratique avec tant de simplicité, de don de soi et de sérieux sans rien attendre de quiconque. Humilité, discrétion, engagement envers la famille mais aussi pour ses convictions, ses principes…

Et puis, et puis, comment ne pas penser aussi à celui qui, alerté par la mère de Mehdi Ben Barka, a pris en charge ce dossier si épineux, ce dossier qui fait toujours peur à bien des Etats, ce dossier que les raisons d’États ne cessent de bloquer. Hommage, cher Maurice, pour ta présence auprès de la famille. C’est tout le Mouvement progressiste marocain qui n’oubliera pas ton endurance et ton acharnement dans cette affaire.

Oui, c’est pour eux  autant que pour Mehdi Ben Barka que je continue à venir devant la brasserie LIPP saluer la Mémoire de celui qu’un  acte de lâcheté,  de sauvageries orchestrées par plusieurs  Etats a brisé et ne permet pas encore à sa famille, cinquante années après, de faire son deuil.

Hayat Berrada-Bousta
30 octobre 2015