Comme depuis plus d’un demi-siècle, le rassemblement de ce 29 octobre 2019 pour réclamer la vérité sur l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka a regroupé plusieurs personnes : jeunes et moins jeunes, de nationalités différentes revendiquent la vérité sur le sort des disparus. Beaucoup d’entre eux n’étaient pas nés en 1965, année de son enlèvement devant la brasserie Lipp le 29 octobre.
« Les révolutionnaires du Tiers-Monde se reconnaissent en lui. Mais l’homme dont les chefs d’Etat consacrent les talents est leur égal. Il a été président de l’Assemblée nationale consultative au Maroc » écrivait Mohamed Harbi, l’un des plus grands historiens algériens, spécialiste de la vie politique et de l’histoire de l’Algérie. (Revue marocaine Zamane-2012
Ce combattant anti impérialiste et farouche adversaire de toutes les formes d’autocratie gênaient. La première conférence de la Tricontinentale en janvier 1966 déclarait : « le rapt de Mehdi Ben Barka, leader de l’UNFP du Maroc et Président du Comité préparatoire de la Conférence des trois Continents constitue une atteinte à l’ensemble du Mouvement révolutionnaire dans le Tiers-Monde ».
En cette « journée du disparu » son fils Bachir Ben Barka lors de son allocution déclare : « Année après année, rassemblement après rassemblement, si ces mots d’ordre n’ont pas changé, c’est que l’état du dossier judiciaire n’a pas évolué, ou très peu.
Au Maroc, depuis 2003, aucune Commission Rogatoire Internationale des juges français n’est exécutée, malgré leur renouvellement en 2005 et la relance du juge Paquaux en 2018.
En France, l’accès aux archives est toujours bloqué au nom du secret-défense. (…) « Nous sommes au cœur de la problématique du secret-défense en France» poursuit Bachir Ben Barka. « Il suffit à l’Etat d’invoquer le secret de la défense nationale au nom de la raison d’Etat, pour que le justiciable qui réclame son droit se voit totalement démuni et dépendant du bon vouloir du prince comme du temps de l’ancien régime.(…) Cela concerne plusieurs affaires, une absence de volonté politique pour faire la lumière sur la vérité et nécessite une mobilisation de chaque démocrate (…) des situations (qui sont) indignes dans un état de droit et que l’on retrouve dans les 16 affaires sur lesquelles s’appuie l’action du collectif « Secret-défense, un enjeu démocratique » comme contribution à la réflexion sur cette question et à sa nécessaire réforme. »
Le 27 octobre 2019, à l’occasion de la 54ème année de la disparition de Mehdi Ben Braka, Médiapart a publié une Tribune[1] signée par différentes personnalités en France comme au Maroc qui « demandent aux États Marocain et Français d’assumer leurs responsabilités afin que la vérité soit enfin établie« .
De même, comme le rappelait Bachir Ben Barka, Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et Stéphane Peu, député de Seine-Saint-Denis, viennent de déposer à l’assemblée nationale des questions à la Ministre des Armées et au Premier ministre sur la levée du secret – défense sur tous les documents relatifs à l’affaire de l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka.
Il y a plus d’un demi-siècle que l’épouse et les enfants de Mehdi Ben Barka attendent de connaître le lieu de sépulture de leur mari et père.
Il y a plus d’un demi – siècle que les Etats commanditaire et responsables de ce crime odieux continuent à protéger les auteurs et complices, ouvrant la porte à des récidives et, en particulier, à l’intimidation de la famille, de leur avocat Maurice Buttin et de leurs proches. Les fausses rumeurs, les mensonges, des plaintes « pour diffamations publiques » déposées par l’un des protagonistes de l’enlèvement qui fut condamné par contumace en juin 1967 en France mais s’acharne à faire appel…des pratiques qui espèrent intimider à l’ombre de la raison d’Etats et du secret – défense.
Mais, en ce 29 octobre 2019, ils sont toujours présents ceux qui réclament que la vérité soit faite, que les responsables soient identifiés et qui espèrent toujours pouvoir se recueillir avec la famille sur la tombe de celui qui aura marqué et marque toujours plusieurs générations par sa foi en la justice, le Droit et la liberté, les constituants de la Démocratie.
La souffrance d’un enlèvement, la colère et l’indignation face à cette injustice flagrante, ne tiennent aucunement compte de la durée et continueront sans limite de temps à réclamer la vérité tant que persistera le silence des responsables et complices de ce crime.
Hayat Berrada Bousta
30 octobre 2019