Une discrimination “légale”
Les actes de terrorisme du mois de janvier 2015 ont mobilisé une grande partie de la population qui est descendue dans les rues pour manifester sa colère contre ces actes indicibles et leurs atteintes à nos libertés.
Suite à ces actes , le Président Hollande avait proposé une réforme constitutionnelle sur la déchéance de la nationalité de certains binationaux nés en France.
Les textes de loi sur les discriminations[1] et les efforts engagés pour sensibiliser tous les citoyens à cette question avaient pour objectif de favoriser la citoyenneté et la cohésion sociale. La dimension tant juridique que citoyenne de cette mesure nécessitait de tenir compte des différents types de discriminations considérées comme une pratique qui relève du pénal.
Parmi ces types de discriminations figure ce que l’on nomme la discrimination “légale” à savoir une discrimination adoptée légalement par un pays mais qui est discriminatoire au regard du Droit International. C’est ainsi que l’apartheid en Afrique du Sud a été considéré comme une discrimination “légale” que les personnes éprises de droit et d’égalité n’ont cessé de combattre.
C’est le cas de la proposition de réforme constitutionnelle sur la déchéance de la nationalité de certains binationaux nés en France si elle est adoptée. Quelles que soient les raisons ou les explications ou le nombre de personnes concernées c’est une mesure de division de la société française. Elle instaure de fait une distinction entre français de droit. Or, tout français ayant commis un crime devra être jugé, condamné à des peines proportionnelles à ses crimes. C’est une affaire qui relève du pénal alors que les détenteurs du pouvoir en France ont choisi, à travers cette proposition de mesure, de légiférer et institutionnaliser la division entre français de droit.
Au-delà de cette dimension discriminatoire cette mesure est :
Absurde car elle n’est pas applicable. Elle ne sert à rien. Ceux qui commettent ces actes ignobles ne seront pas intimidés par cette mesure et, en général, meurent avant d’être arrêtés.
Hypocrite: on souhaite, par cette mesure, que les criminels qui ont commis des actes ignobles ne soient plus considérés comme français alors qu’ils ont commis ces actes en tant que français….Or, l’important n’est pas la nationalité de ces individus mais le crime et les victimes. Ce qui importe est d’avoir la volonté politique de s’attaquer aux causes de ces crimes.
Un manque de responsabilité et un mépris envers les pays d’origine des parents: après avoir déchu ces personnes de la nationalité française, on les renverrait aux pays d’origine de leurs parents voire de leurs grands-parents alors qu’elles sont nées et ont grandi en France ? Comment ces pays vont-ils réagir ? Pendant que ces personnes jugées et condamnées en France purgent leur peine, les pays d’origine de leurs parents peuvent les déchoir de la seconde nationalité. C’est ce qu’auraient déclaré les algériens et les tunisiens. Pourquoi reconnaître et accueillir sur leur sol des criminels nés en France, des individus qu’ils ne connaissent pas, qui n’ont jamais fréquenté leurs écoles, leurs institutions. Ainsi, cette mesure tendrait à faire de ces individus des apatrides.
Ce n’est là qu’une mesure symbolique, avance-t-on.
De quel symbole s’agit-il ? Celui d’une France prête à diviser une population et abandonner les principes de la cohésion sociale ? Celui d’une mesure qui pourrait ouvrir les brèches d’une radicalisation de certains qui se sentiraient rejetés voire exclus en tant que français de droit ? D’une République qui n’est pas capable d’assumer les tares de certains de ses citoyens ?
En vérité, c’est une mesure qui instrumentalise la situation actuelle, surfant sur un climat anxiogène pour répondre à des visées politiciennes en vue de prochaines élections.
En fait, ce ne serait là qu’opportunisme politicien qui prime par rapport aux principes d’égalité et de dignité, par rapport aux dangers de division d’une société et de l’éclatement d’une cohésion sociale déjà fragilisée. Et, surtout, une mesure qui pourrait être préjudiciable à la remise en cause des fondements mêmes de la République.
Hayat Berrada Bousta
30 décembre 2015
[1] – » Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. » article 225-1 du Code pénal