L’Institut Mehdi Ben Baka- Mémoire Vivante organisait, le 15 décembre 2018, à l’occasion des soixante ans de la Déclaration Universelle des Droits Humains, une rencontre en hommage à trois défenseurs des droits humains, de la justice et de la dignité qui ont oeuvré pour la vérité dans l’enlèvement de Mehdi Ben Barka
Le 10 décembre 1948, après la seconde guerre mondiale, la Déclaration Universelle des Droits Humains voulait répondre à « plus jamais ça » : guerre, injustices, mépris des uns sur les autres, dominations indécentes … et permettre à chacun d’avoir un toit, d’exprimer librement ses convictions tant politiques que culturelles et cultuelles.
Aujourd’hui, malgré certaines avancées en deçà des sacrifices consentis, la crainte d’un retour en arrière de certains acquis se justifie par les effets d’un système mondial qui n’hésite pas à employer des méthodes d’exploitation, de domination et de mépris.
Les exemples dans le monde sont nombreux, d’Est en Ouest et du Nord au Sud permettant aux différents pouvoirs de manipuler et hiérarchiser les conflits au nom d’un relativisme de situation.
Mais, dans chaque pays, les populations grossissent les rangs dune contestation légitime.
Dans ce climat où la société de spectacle cautionne les pouvoirs dominants, où le paraître prime sur l’être, quelle fraîcheur, quelle ballon d’oxygène nous donne cet hommage que « l’Institut Mehdi Ben Barka- Mémoire vivante » a rendu en ce mois des droits humains, le 15 décembre 2018 à trois personnalités qui sans faillir ont oeuvré, oeuvrent et oeuvreront encore pour la justice, les droits, la dignité humaine et l’ouverture à l’esprit critique.
Henryane de Chaponnay. Une altermondialiste convaincue qui traverse les frontières.
À 94 ans Henryane Chaponnay dégage une jeunesse, une énergie et une force morale qui ne l’ont jamais abandonnée. Elle sillonne le monde pour porter sa voix à la lutte contre toutes les inégalités que le dialogue entre les peuples, la tolérance et l’écoute au-delà des frontières pourront un jour donner à l’Humain la place qui lui revient.
C’est au Maroc où ses parents vont s’installer pendant la colonisation française qu’elle se démarque de la communauté européenne pour accompagner les marocains dans leur lutte pour l’Indépendance. Celle-ci acquise, elle se lie d’amitié avec Mehdi Ben Barka qui s’engage dans l’édification d’une société nouvelle . Elle publie dans les journaux des positions en particulier sur les femmes marocaines et participe au lancement de l’animation rurale à partir de la province de Marrakech. Elle étend cette initiative à d’autres pays africains et en Amérique Latine par le biais de différents organismes( IRAM, CCFD,CEDAL). Loin d’un paternalisme souvent affiché par certains ou « de donneurs de leçon », il fallait, selon elle « aider les gens à construire leur propre modèle de développement, à être différents de nous » .
Cette « Comtesse rouge » comme la surnommaient les services secrets brésiliens ouvraient la porte de son appartement dès 1960 à de nombreux exilés politiques.
Stéphane Hessel préface son livre « Toile Filante » en écrivant « elle incarne une vie d’engagements enthousiasmants »…et « agit sur nos comportements individuels et collectifs pour mieux vivre ensemble et changer notre regard sur la politique ».
Garder l’Espérance quelles que soient les situations que nous vivons et les efforts conjugués des dominants pour nous l’arracher pour mieux asseoir leur domination. Ne rien lâcher, c’est son leitmotiv.
René Gallissot, militant anticolonialiste , passionné pour le Maghreb.
Dans un entretien en mai 2016, il dira : « Depuis mes 20 ans, l’internationalisme de transformation des rapports sociaux dans le monde et l’avenir du genre humain deviennent et restent ma constance critique intellectuelle et politique. Sans regret ni défection. » Historien critique et engagé dans les évolutions sociales, il privilégie la communication directe avec les populations et le travail sur le terrain lorsque en jeune chercheur il parcourt le Maroc jusqu’à la lisière du Sahara.
« (…) Sa proximité des faits se faisant et des hommes agissant, reste une manière d’humaniser la recherche historique, une manière de la sortir des travées poussiéreuses des dépôts d’archives et des rayonnages aseptisés des bibliothèques. Sans pour autant manquer aux fondements, toujours les mêmes, de la méthode historique. »
C’est à Alger en 1964 qu’il rencontre Mehdi Ben Barka. La jeune Algérie indépendante était le terrain des militants anticoloniaux et révolutionnaires du monde.
Il rejoint progressivement la cause de la Vérité et la Justice. Il est membre du Comité sur l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka. Il conçoit et réalise une exposition itinérante à l’occasion de la quarantième année de l’enlèvement de Ben Barka « Ni vulgaire, ni subalterne, une affaire d’Etats » un titre qui fait échos à l’expression du général de Gaulle lors de son allocution le 21 février 1966 quand il déclarait « en toute équité » au sujet de cette affaire que « ce qui s’est passé n’a rien eu que de vulgaire et de subalterne. »
Maître Maurice Buttin. Au service de la vérité et la justice.
A 90 ans, Maurice Buttin dégage une jeunesse qui force le respect.
C’est une jeunesse qui a ses fondements dans la valeur morale, l’intégrité, la fraternité que dégageait son père, Paul Buttin, bâtonnier du barreau de Fez-Meknès qui en lançant une revue mensuelle « Confluent » voulait « favoriser un rapprochement entre les deux cultures, les deux civilisations, les deux humanismes ».
Famille chrétienne, Paul Buttin « trouve sa force et ses convictions dans sa foi chrétienne », dira son fils Maurice, une foi qui ne déviera pas de ces convictions.
Ayant vécu au Maroc, Maurice Buttin, confronté aux situations de précarité et de pauvreté d’une majorité des populations en particulier dans le monde rural, a la volonté de contribuer au changement.
En tant qu’avocat au barreau de Rabat en 1954, il défend les nationalistes marocains et fait alors la connaissance de Mehdi Ben Barka. Après la disparition de son fils, la mère de Mehdi Ben Barka lui confie la défense du dossier de son fils.
Lors du premier procès en 1966 de « l’affaire Ben Barka », sa plaidoirie lui vaudra l’interdiction de revenir au Maroc. Il s’inscrit alors au barreau de Paris après avoir déclaré : « je n’ai pas quitté le Maroc, c’est le Maroc qui m’a quitté ».
La vérité sur la disparition et l’assassinat de Mehdi Ben Barka sera l’une de ses préoccupations principales. Cette injustice avec la complicité d’Etats lui donne un courage toujours renouvelé pour faire face à l’intimidation et aux mensonges pour que cette affaire qui a marqué la France du XX ème siècle soit oubliée et que la page soit tournée. Il publie en 2010 un ouvrage : « Ben Barka, HassanII, De Gaulle, ce que je sais d’eux ».
Cette vigilance dans le combat pour la justice et la vérité rejoint celle, indéfectible, pour le combat pour la reconnaissance des droits nationaux des palestiniens.Il mobilise toutes ses forces politiques, physiques en créant et s’inscrivant dans différentes structures de défense des droits palestiniens. Il préside le Comité de Vigilance pour une paix réelle en Palestine et organise avec l’aide de sa conjointe Mado, des colloques d’information et de sensibilisation d’une grande teneur historique, politique et intellectuelle. Les intervenants tant israéliens qu’européens et arabes interviendront avec des précisions, des données qui mettent en lumière le non droit de l’État d’Israël qui sème volontairement la confusion entre antisémitisme et antisionisme. Cet apôtre du dialogue inter cultuel n’aura de cesse d’interpeller les présidents de la République et les ministres pour la reconnaissance de l’État Palestinien. Suite à la décision de considérer Israël comme Etat juif, Il organise en octobre 2018 un colloque «Du déni de Palestine à l’apartheid ».
Ce citoyen français reçoit la citoyenneté d’honneur marocaine et palestinienne au regard de son engagement sans faillir pour les causes justes et pour ce dialogue interculturel où l’Humain doit occuper le centre de nos préoccupations.
En ces moments de contestations en France et dans plusieurs autres pays, contestations qui remettent en cause un système ultra libéral qui produit des laisser pour compte dans le mépris le plus total comment s’étonner que les mécontentements s’expriment parfois avec violence ? Les responsables sont ceux qui exhibent leurs richesses indécentes devant des femmes et des hommes de plus en plus pauvres et qui ouvrent les portes de toutes les formes de terrorismes.
Aussi, cet hommage à ceux qui donnent leur temps, leur vie avec une grande humilité nous encouragent à ne rien lâcher pour plus de justice, de droits et de liberté et comme le disait Stéphane Hessel au sujet d’Henryane Chaponnet « avec enthousiasme ».
Hayat Berrada-Bousta
Rédactrice de Maroc réalités
Décembre 2018