Hommage à notre camarade et ami Mohamed Moutiaa – 2008

C’est à Bruxelles, le 12 janvier 2008, la ville où s’était installé Mohamed Moutiaa de son nom d’emprunt Slimane qu’un grand nombre de militants lui rendaient hommage après son décès le 22 novembre 2007.
Il s’y était installé après avoir séjourné à Tripoli dans la clandestinité, convaincu dans la victoire de nos convictions pour le droit, la justice et la démocratie.

Slimane, à gauche. A son retour d’exil.
Rencontre organisée par sa familles et ses amis.

Chers(es) camarades et amis(es)

Je tiens tout d’abord à remercier Fadi de m’avoir proposé de présider cette rencontre. C’est, pour moi, un grand honneur, de le faire à l’occasion du 40ème jour de la disparition de notre camarade et ami, Slimane.

C’est par ce nom que je l’ai rencontré pour la première fois à Tripoli, en Libye, ce mois de mai 1973.

Sa disparition, ce 22 Novembre 2007, me fait revivre toute cette période, il y a près de 35 ans, où notre jeunesse et nos certitudes dans une victoire prochaine du Droit et du respect de la dignité humaine dans notre pays, nous rapprochaient. Il n’était pas utile de connaître le vrai nom de celui-ci ou celui-là, ni de savoir d’où il vient, ce qu’il a fait…Seul comptait notre lien dans cette lutte pour la liberté.

Nous étions jeunes, nous avions confiance, nous avions tout quitté, père, mère, famille et biens. Peu importait que notre famille nous croit morts pourvu qu’elle soit préservée…C’était la clandestinité que je découvrais et qu’il connaissait déjà, mais c’était aussi un certain nombre de camarades avec lesquels j’ai beaucoup partagé. Et, parmi eux, Slimane qui avait toujours le mot pour ironiser, le sourire pour alléger le poids des absences familiales.

Slimane dont je n’ai connu le parcours qu’après près de 2 années de clandestinité s’était évertué à m’apprendre à conduire en Libye sans résultat et avec la ferme intention de ne plus recommencer vu ma maladresse .

Slimane est celui qui, un jour, dans les rues de Tripoli, nous observant de loin alors que j’étais la seule femme entre tous avait proposé, avec ce rire voire ce fou rire  si éclatant et légèrement rauque : et si on l’appelait Boucheïb pour nous moquer de toute cette police qui, si elle nous  interroge un jour  sur le nom de cette femme qui était avec nous on ne pourrait lui répondre que par un nom au masculin….

Jusqu’à aujourd’hui, certains en souvenir de lui m’appellent Boucheïb, le temps de nous projeter un peu dans le passé. Lui aussi, lorsque l’on s’est rencontré en Mai 2006 à Casablanca, m’avait interpellé «Boucheïb» revenant sur tous nos souvenirs.

Slimane était celui qui se moquait un peu de nos certitudes et qui, un jour, à Tripoli, nous dit : lorsque nous serons bien vieux, une canne à la main, serons-nous toujours les mêmes avec nos certitudes. Certains sont partis assez jeunes, lui aussi. Mais, je l’assure, certains quinquagénaires et sexagénaires que nous sommes devenus n’ont pas dévié de leurs profondes convictions, ne participent pas à la banalisation de la démocratie et du vrai malgré les pressions qui nous entourent. Avec nos moyens mais avec toute notre conviction.

Slimane, tu étais de ceux-la et nous avions, à Casablanca, espéré que tous ces anciens clandestins devenus exilés puissent un jour se rassembler, pour la Mémoire mais aussi pour affirmer leurs convictions dans le droit, la justice et contre l’autocratie et le non droit toujours dominant au Maroc.

Et puis comme certains le diront, il y eut la clandestinité en Algérie, puis l’exil en France, en Belgique et en Libye pour lui.

Avec Abdelghani, il a été de tous les combats, Option Révolutionnaire, droits humains, immigrations et lutte contre les Amicales mises en place par le régime pour nous contrecarrer…

Mais avec lui, il y eut des relations de respect mutuel, d’entente et d’amitié. Il s’engageait sans compter.

40 ans de clandestinité et d’exil politique, toute une jeunesse et une vie d’adulte loin des siens. Heureusement, Fatima sa femme et ses filles étaient là pour l’épauler.

Je tiens à rendre hommage à Fatima qui, avec courage, a vécu loin de sa famille pour l’accompagner en Belgique et en Libye, par respect pour ses convictions.

Hommage à toi Fatima, dans les sacrifices endurées avec courage et sourire, avec cette force que tu as conservée pendant toute sa maladie.

Ce courage ne peut faiblir vu ton caractère mais aussi parce que Slimane, Mohamed Moutiaa, sera toujours parmi nous.

Abdelghani disait : «  On peut détruire certains hommes mais on ne peut les mettre à genoux ». Slimane était de ceux-la et restera toujours parmi nous…

Hayat Berrada Bousta
12 janvier 2008