A l’occasion de la commémoration de la 69ème année de la Déclaration Universelle des Droits Humains, ce 9 décembre à Paris s’est tenu, à l’appel d’un grand nombre d’ONG tant maghrébines que françaises, un meeting de soutien au Mouvement pacifique du Rif dont plusieurs militants ont été incarcérés pour avoir manifesté depuis un an et réclamé des améliorations de leurs conditions de vie. Comme le disait Rachid Oufkir au nom du Comité de Soutien au mouvement Rifain (CSMR) :« En résumé, le Hirak est né afin de réclamer et d’obtenir le développement de la région, ainsi que des changements politiques et sociaux profonds. »
Hier, c’étaient les «murs de la honte» qu’on élevait pour cacher la misère aux portes des grandes villes marocaines. Une misère qui, en juin 1981, a fait exploser la colère des habitants des bidonvilles de Casablanca, et qui a eu pour conséquences un grand nombre de morts, jetés pour la plupart dans les fosses communes.
Aujourd’hui on améliore, en s’endettant dangereusement, les axes visibles des grandes villes et les moyens de transports permettant aux investisseurs étrangers et aux marocains aisés de circuler dans de bonnes conditions pendant que le « Maroc inutile » est délaissé. Et, on appelle cela « développement » du pays qui, comme le disait l’intervenant du CSMR «est classé au 123e position, sur 188 pays, en matière de développement humain : la santé, le niveau d’instruction, le revenu, la sécurité humaine, la perception du bien-être, l’état d’avancement pour l’exécution des traités sur les droits de l’homme, ou encore la pauvreté. ».
La sévérité de cette fracture sociale et régionale engendre misère et colère et conduit des vagues de réfugiés appauvris à traverser les mers car ils n’ont plus rien à perdre : fuir la misère…fuir la répression.
Certes, nous n’assistons pas à une politique répressive sanguinaire comme auparavant. Le régime marocain a été contraint de modifier ses pratiques répressives grâce aux combats des forces démocratiques marocaines et à la solidarité internationale. Mais rien n’est irréversible dans un Etat de non droit, quand le système reste inchangé, le roi règne et gouverne malgré les textes. Nous ne sommes pas à l’abri de récidive au regard de la dégradation des DH comme nous le constatons aujourd’hui. Ayad Ahram au nom des organisations marocaines, lors de ce meeting rappelait : « Plusieurs atteintes graves aux droits humains ont été dénoncées, aussi bien par les associations marocaines que par les organisations internationales de défense des droits humains, dont la FIDH, Amnesty International et HRW. Elles ont toutes dénoncé les arrestations massives et arbitraires, le quadrillage militaire et policier de la région du Rif. Elles ont aussi constaté les interventions violentes, l’utilisation disproportionnée de la force contre les manifestants pacifiques entrainant la mort d’Imad El Attabi et Abdelhafid El Haddad, les assignations à résidence, le chantage fait aux familles des détenus et leur harcèlement ainsi que la pratique lors des interrogatoires de la torture ». La militarisation du Rif ne date pas d’aujourd’hui comme cela fut rappelé. Elle date de la période où Hassan II, alors prince héritier, avait été nommé par son père, Mohamed V, chef de l’armée royale, « un décret (Dahir royal) avait d’ailleurs été émis considérant le Rif comme une « zone militaire ». Ce décret court toujours et n’a toujours pas été abrogé officiellement … » ajoute Ayad Ahram.
Comme par le passé, le pouvoir répond à ces cris de justice et d’égalité par la répression et en décrédibilisant le Mouvement Hirak . Selon le CSMR: « Les militants ont été fallacieusement et officiellement accusés d’être tour-à-tour financés par l’argent de la drogue, sous la tutelle de puissances occultes, en l’occurrence l’Algérie et le Polisario, de causer la fitna, et le terrorisme etc… mais sans jamais apporter la moindre preuve à ces allégations. »
Comme cela a été rappelé, ce Mouvement est né suite au décès de Mohcine Fikri, jeune marchand de poissons broyé par une benne à ordure à Al-Hoceima. Ce Mouvement fut réprimé à plusieurs reprises. Arrestations arbitraires : près de 1000 militants. Détentions : 500 personnes dont 50 ne sont que des enfants et nous rappellent qu’en janvier 1984 à Nador, des enfants ont été tués lors de la manifestation contre la faim dans cette région. Ces militants sont détenus à Casablanca, soit à 600 km de leurs familles. Des peines allant jusqu’à 20 ans de prison ferme ont été prononcées à leur encontre suite à des procès iniques.
Les ONG marocaines dressent un tableau rappelant les conditions de détention des années dites « de plomb » : torture systématique, humiliations, viols. Non seulement la Défense n’a pas pu assurer ses droits mais des journalistes étrangers ont été expulsés. Des grèves de la faim ont été observées.
Face à cette escalade liberticide, à ces humiliations à répétitions, ces intimidations, les militants ne lâchent rien. Comme le disait le CSMR : « Ni le satellite-espion à 500 millions d’euros payé par le contribuable marocain mais baptisé à la gloire du Mohamed VI , ni la qualification à la coupe du monde de 2018 et la ferveur que cela est supposé susciter en gage de patriotisme, ni le limogeage des ministres dans le dossier du dit programme « Al Hoceima, phare de la méditerranée », ni la charité ostentatoire du monarque envers les morts…Rien de tout cela ne nous affectera, ne nous fera reculer, ni ne nous fera oublier nos camarades en prison, et ce pourquoi ils se sont battus ! »
Le mouvement de protestation actuelle, quelle que soit sa durée a touché plusieurs villes marocaines du Nord au Sud. Il a comme en février 2011 fait prendre conscience qu’au Maroc, tout est « en trompe l’œil ». Ces populations de cette « exception marocaine » dont se targue certains pays occidentaux pour préserver leurs intérêts ont pris conscience, en s’indignant à plusieurs moments, de la trop grande fracture sociale favorisant la richesse indécente d’un petit nombre.
Les intérêts de la France au Maroc sont préservés : investissements dans un pays où la main d’oeuvre est bon marché et dont la conséquence est la délocalisation qui engendre chômage en France.
Toutes les interventions ont souligné la tromperie que cache cette façade « d’avancées démocratiques » et de « développement ». Ce masque que le pouvoir cherche à préserver pour ses intérêts et ceux de ses alliés mais aussi pour chloroformer une partie de la population doit mobiliser les démocrates au Maroc comme à l’étranger.
Au-delà de la solidarité intrinsèque liée au concept d’universalité des droits humains, c’est une situation qui concerne tous les français qui voient péricliter la notion de démocratie dans leur pays et qui, indirectement, sont touchés par les relations privilégiés que leur gouvernement entretient avec le pouvoir marocain.
Hayat Berrada Bouta
9 décembre 2017