Colloque sur les questions d’intégration – Montreuil, 1995

Intervention lors d’un colloque organisé par la Mairie de Montreuil sur les questions d’insertion et d’intégration.
J’avais été sollicitée pour y intervenir en tant que directrice du Centre d’Insertion pour Adultes (CIFA) .

Pour tenter de répondre à cette question, je partirai des différents constats relevés sur le terrain : le Centre d’Insertion et de Formation pour Adultes à Montreuil reçoit près de 400 personnes par an, toutes nationalités confondues (50% d’étrangers) : l’insertion professionnelle pour toutes ces personnes, au chômage depuis plus d’un an (parfois 5 ou 6 ans) ou n’ayant jamais travaillé auparavant, nécessite la prise en compte, en amont de l’emploi, d’un certain nombre de problématiques liées au chômage : santé, logement, équilibre personnel, mais aussi, connaissance de la langue française, reconnaissance sociale, reconnaissance de la citoyenneté…

         Les obstacles à l’emploi ou la formation des immigrés se situent dans la difficulté qu’ils ont à se considérer comme partie intégrante d’une société avec ses éventails de droit et de devoir. Ces incapacités sont liées en grande partie à l’ambiguïté d’une « politique d’intégration » qui va engendrer progressivement l’absence de désir d’intégration des populations immigrées.

         L’emploi reste une priorité mais l’intégration socio-culturelle et personnelle est aussi une nécessité.Ainsi, tous ces facteurs spécifiques aux immigrés sont en amont ou en accompagnement de toute action axée vers l’emploi ou la formation de ceux-ci. C’est dans ce sens que le Fonds d’Action Sociale a été et doit rester l’organisme à l’écoute de ces particularités pour pouvoir les identifier et y répondre avec toute autonomie.

         Depuis des années les mutations économiques et sociales ont engendré des situations de vie individuelle parfois dramatiques : le chômage est mal vécu dès le début, mais, lorsqu’il s’installe au delà de 6 mois, il paralyse souvent et progressivement la personne dans toutes ses démarches. Etre acteur économique permet aujourd’hui (peut-être pas demain car la relation au travail aura changé) à toute personne de mieux saisir son identité tant personnelle, sociale que culturelle. Le Chômage de Longue Durée crée un véritable sentiment d’insécurité, de lassitude, de dépression et parfois d’agressivité. Ainsi, la formation doit tenir compte de toutes ces réalités pour répondre aux besoins de la personne (perte de confiance, des repères familiaux, de logement, de santé…) Lorsqu’il s’agit d’ajouter à toutes ces questions sociales et personnelles, l’handicap linguistique, l’incompréhension culturelle et la crainte face à des mesures sur l’immigration de plus en plus draconiennes, on peut mesurer les obstacles à l’intégration.

         L’action expérimentale que le Centre d’Insertion et de Formation pour Adultes mène avec le F.A.S. et la D.D.T.E. depuis 1994 est l’illustration de la prise en compte de la spécificité pour permettre l’accès au droit commun et a aussi permis d’identifier les obstacles à l’insertion et la formation de certains immigrés.

         le C.I.F.A., centre permanent, qui, depuis 1990, travaille avec les Chômeurs de Longue Durée et les bénéficiaires du R.M.I. dans le parcours d’insertion à la vie active, conventionné par le Droit Commun (D.D.T.E. en particulier) et le Conseil Général ne pouvait pas dans ce dispositif, intégrer des personnes ne sachant ni lire, ni écrire et peu francophones. Sur 800 personnes accueillies par an, seules 300 d’entre elles pouvaient accéder à notre parcours.

         Les difficultés linguistiques empêchent certaines d’entre elles de suivre une formation dont l’objectif est l’insertion professionnelle ou l’orientation en formation (pré)qualifiante. Ces parcours sont trop courts pour des personnes qui n’ont pas ou peu pu bénéficier de l’apprentissage de la langue française comme moyen de communication en entreprise.

         En effet, l’offre de formation en alphabétisation reste, malgré tout, inférieure à la demande et souvent ne tient pas compte des contraintes de toutes ces personnes qui veulent apprendre le français : proximité du lieu d’apprentissage, prise en charge des gardes d’enfants, individualisation de la formation.

         D’un côté, le droit commun ne répond pas aux spécificités en ne développant pas des parcours plus longs, intégrant des modules d’alphabétisation. De l’autre côté, le Fonds d’Action Sociale, considère que la formation relève du droit commun.

         Aussi, le centre a monté une action linguistique à visée professionnelle en amont du droit commun et dont l’objectif vise essentiellement les acquis pour l’accès à ce droit. Ainsi, les personnes ayant des difficultés linguistiques font une « mise à niveau » nécessaire pour intégrer de manière positive et sans interruption les stages de formation professionnelle.

         Cette opération s’avère effectivement positive pour les personnes exclues de fait du droit commun, certaines ont accédé à des emplois précaires (C.E.S.), d’autres à des C.D.D.-C.D.I. ; mais elle ne peut prendre en compte, systématiquement, la population immigrée en très grande difficulté linguistique : une personne, non francophone et analphabète ne pourra pasen 500 heures, accéder au droit commun. Ce sont souvent des femmes rejoignantes arrivées en France depuis plus de 10 ans, n’ayant jamais pu suivre des cours d’alphabétisation, pour les raisons citées plus haut.

         Pour ces personnes, la question reste entière : quelle structure peut les prendre en charge ? Dans quel type de parcours ? Dans quelles conditions peut-on renforcer le droit commun pour qu’il puisse prendre en compte leur spécificité ? Il y a une réflexion nécessaire à faire sur les actions d’alphabétisation, leurs objectifs, leur évaluation et les critères de leur réalisation.

         Cependant, l’expérience que nous menons nous a permis d’identifier les obstacles à l’insertion professionnelle de certains immigrés. Ceux-ci sont de deux sortes :

         a) liés à la langue : on a pu travailler avec les stagiaires sur des questions relatives au comportement, face à l’entreprise, sur la communication, sur le respect des horaires, la mobilité… Mais l’acquis linguistique n’était pas suffisant pour accéder à un emploi après le stage pratique en entreprise. Les consignes ne pouvaient être appliquées en raison de la mauvaise connaissance d’un vocabulaire usuel.

         Et, parallèlement, on a pu constater une résistance de certains étrangers à l’apprentissage de la langue française, en particulier parmi les réfugiés politiques : l’explication souvent donnée est liée à leur histoire personnelle mais aussi à l’analyse qu’il font des raisons de leur exil. L’Histoire coloniale de la France, le néo-colonialisme, n’est pas absent dans l’explication qu’ils donnent  pour expliquer la résistance consciente ou inconsciente face à la langue et la culture française. Les discours assimilationniste ne peuvent que les réconforter dans cette conviction.

         En ce qui concerne les femmes immigrées, l’absence de structures d’accueil pour l’apprentissage de la langue française il y a 20 ans, au moment des premiers regroupements familiaux, les ont installées dans le refus d’apprendre et dans le repli sur soi. Ainsi, même pendant les stages, elles communiquent, pour la plupart, dans leur langue d’origine, ce qui rend plus difficile et moins dynamique la possibilité de progression.

         Pour les chômeurs de longue durée, ayant travaillé pendant plus de 10 ans dans la même entreprise (le cas des licenciements économiques à Peugeot, Citroën…) ils ne comprennent pas pourquoi on ne leur a rien proposé pendant toutes ces années de travail, alors qu’ils avaient droit à un Congé Individuel de Formation. Ils ont alors, une attitude de résistance à l’apprentissage du français : « Si j’ai pu travailler pendant 10 ans, sans savoir parler français, il n’y a pas de raison pour que je me mette à apprendre le français à 40/45 ans… »

         b) liés à l’attitude même de l’entreprise (cf. enquêtes M. JIBALAH) : certaines entreprises refusent de recruter des étrangers. (« en raison de la clientèle »… « pour l’équilibre le la structure »….). Se référer à l’article du « Monde » du 12 mars sur les discriminations « ethniques » dans le monde du travail. Cette discrimination touche les jeunes français d’origine étrangère mais aussi les adultes ayant une longue expérience professionnelle. Elle est en contradiction avec la loi de 1972 contre le racisme.

         Ainsi, cette action qui rentre dans les orientations du F.A.S. montre la nécessité d’un partenariat institutionnel (F.A.S. + D.D.T.E.) qui permet de prendre en compte certains problèmes spécifiques en matière de formation ou d’emploi.

         Face à la crise économique mondiale, et l’impuissance des pouvoirs à la surmonter, face à leur démarche qui consiste à limiter les coûts du social en faveur de l’économique, on participe à la recrudescence de démagogues qui « profitent de la vulnérabilité sociale engendrée par la mondialisation de l’économie pour s’approprier le thème de la souveraineté nationale et ressortir, à l’occasion, toutes les xénophobies et les rêveries racistes par lesquelles meurt la démocratie« . Jacques Donzelot dans « L’avenir du social« .

         Aussi, faudrait-il être vigilant. Une politique d’immigration doit tenir compte de tous les facteurs qui la sous-tendent pour être cohérente et permettre la réalisation d’une politique de l’intégration.

Hayat Berrada-Bousta
1995