Commémoration de la 10ème année de la disparition de Abdelghani – 2008

Abdelhaq Kass, un camarade et ami de Abdelghani Bousta a organisé avec des militants une rencontre pour la dixième année de la disparition de Abdelghani à Paris. Plusieurs organisations politiques marocaines avaient fait le déplacement pour y venir. Mais Abdelhaq, obligé de se rendre au Maroc en raison du décès de sa mère, n’a pas pu y assister.

Je tiens au nom de toute la famille au Maroc comme à l’étranger à remercier la fédération d’Europe du PADS pour avoir pris l’initiative de commémorer  la 10ème année de la disparition de Abdelghani  sous l’égide de l’Union de la gauche. Abdelghani qui fut l’un des responsables nationaux du PADS et particulièrement l’un des organisateurs de la Fédération.

A l’occasion, j’adresse toutes mes condoléances à Kass pour le décès de sa mère.  Merci Nora de les lui transmettre et lui dire:

« Toutes les mères sont des princesses qui sans cesse
Donnent de l’amour aux vies qui naissent et disparaissent
Combattantes, militantes ou bien mères tout simplement
Des larmes coulent quand vos âmes s’en vont dans le vent. »

Merci  aux camarades qui ont fait le déplacement du Maroc à cette occasion. Plus particulièrement les forces politiques ( PSU, ANNAHJ, Congrès National Ittihadi ..) et les amis qui s’y sont joints dans un esprit de solidarité, de souvenir et d’union marquant, par-là, l’esprit même de la notion de front populaire démocratique qui était, entre autre, l’une des préoccupations de Abdelghani et sur laquelle  il  a toujours insisté depuis son entrée dans le monde politique à des degrés divers tant dans ses écrits mais aussi dans sa pratique militante.

Mustapha Mejdi  qui le connaissait à Rabat dans les années 60 dit de lui«  Il était un tout jeune étudiant de l’Ecole Mohammadia des ingénieurs…je me souviens encore du jeune homme frêle, passionné de football qui était venu s’entraîner avec nous. Il était un peu timide, mais il avait déjà en lui une révolte  parfaitement maîtrisée ». 

Lorsque personnellement je l’ai connu en 1969 à Grenoble, ce qui va  frapper plusieurs militants c’est sa générosité, sa tolérance  et sa droiture….

Alors très rapidement, certains camarades de l’UNFP, l’ont introduit dans le  parti dès son arrivée et par la suite au sein de la tendance armée.

J’étais, depuis près de deux ans, militante de l’UNFP et  ce qui va nous rapprocher, était l’enthousiasme et la conviction qu’il fallait faire pour que cela change : nous avons partagé des AG houleuses de l’UNEM, des rencontres débat, une grève de la faim lors du procès de Marrakech de 1970 …des contacts avec les personnalités locales, des écrits sur l’UNEM avant de partager nos vies…Je crois que cette période et l’intensité avec laquelle il a réalisé ses convictions a marqué toute sa trajectoire politique : il a choisi cette voie, sans concession pour lui, et lui a livré toute sa vie : l’engagement politique était prioritaire, avant non seulement sa profession mais avant sa famille et lui-même : c’est dire que l’intérêt général comptait avant tout.

Lorsqu’on vit au quotidien avec une personne, on ne mesure pas nécessairement  la dimension de son engagement. On connaît cet engagement, on échange différents points de vue ou positions, on voit la personne travailler, On la voit faire des sacrifices dans sa vie personnelle…Comme on partage les mêmes convictions, cela fait partie de notre vie comme travailler, marcher, manger…mais on n’a pas idée de sa production politique…

En travaillant sur le site  internet qu’il avait installé en Janvier 1998 «  Maroc réalités », nous avons été frappés par la quantité de ses écrits en français comme en arabe ainsi que ses différentes  interventions au nom de Alikhtiar Attaouri ou du PADS.

Son engagement dans les structures « trois continents » avec Majed Naamat et dans Averroes pour la traduction en arabe de certains livres « le commandeur des croyants » de J. Waterbury, « le Fellah marocain défenseur du trône » de Rémy Leveau…

 Que dire des articles dans Almassar et Attarik, sur le Front populaire démocratique, le socialisme scientifique, les fondements de la démocratie, l’opportunisme, sur Lénine et la révolution d’Octobre et la situation des pays de l’Est à la fin des années 80, sur l’impérialisme, l’intégrisme, l’analyse du Mouvement  Ittihadi ainsi que ses articles en français dans la Lettre du Maroc puis dans Droits Pluriels…

Sans oublier ses poèmes en arabe dialectal (AlJazal), un essai inachevé sur le pouvoir de Hassan II et le plan d’un livre sur l’expérience du Mouvement Ittihadi qu’il avait projeté de publier en 2000.

Maroc réalités est un chantier qui a certes avancé mais qui est loin de s’achever tant étaient nombreux les archives que possédaient  Abdelghani, en particulier ceux de Alikhtiar attaouri, ce mensuel qui a duré près de 9 ans : 1975-1984, qui a publié différentes brochures sur le Sahara, la CDT, l’autocritique de l’UNFP, 22 ans de répression…

 A cette occasion, je tiens à remercier Fatima Benadi-Moutia, épouse de notre camarade et ami Slimane, ami et compagnon de lutte de Abdelghani depuis 1973  qui  nous a quittés il y a bientôt un an après 40 ans d’exil. Elle a saisi un grand nombre d’articles de Abdelghani en langue arabe parus dans les hebdomadaires du PADS : Al Massar et Attarik…Je la remercie pour sa disponibilité.

On peut dire que jusqu’en 95 le souci de Abdelghani se déclinait en 2 points : le rassemblement et que faire ? il s’attachera en particulier à l’aspect organisationnel comme un des facteurs essentiels dans la mise en place de  ce rassemblement  car il était persuadé que c’était la seule stratégie pour faire face à l’autocratie.

Si l’on met de côté les 2 années de clandestinité, il aura toujours œuvré avec d’autres camarades pour l’union de la gauche.

Au nom de Alikhtiar Attaouri , la question du rassemblement des forces progressistes était l’une des grandes préoccupations : dans différent colloques comme celui d’Athènes en 1979, dans les interviews accordées au journal  PAIS en 1980, les colloques et séminaires  à Bruxelles ou Rotterdam …

Les différentes rencontres avec Ben Said et les camarades de 23 Mars puis l’OADP, les rencontres avec Illa Alamam…et avec ses amis de longue date qui n’étaient pas dans la même organisation que lui.

Puis, au nom de l’USFP – CAN, ses efforts avec d’autres camarades pour l’union avec Arrabita dont les militants ont contribué à l’orientation du PADS.

Octobre 1994, on rentre au Maroc après près de 22 ans d’exil : progressivement l’aspect idéologique et théorique  prendra le pas sur l’organisationnel. C’était alors le qui sommes-nous ?

Et, pour lui, l’humain devait être au centre de tous nos choix politiques. Le rassemblement populaire et démocratique doit installer l’humain devant le politique…

Dans une interview [1] accordée au journal Alyassar Addimocrati en 1996, il disait «L’union n’est pas la rencontre au sommet mais l’union dans le parcours militant entre démocrates de toutes tendances (…) Elle ne repose pas sur des intérêts ou ambitions personnel. Elle nécessite la valorisation du travail collectif… Elle nécessite aussi  un esprit d’ouverture, d’écoute et d’humilité au- delà des programmes d’union. .. »

Il approfondit, alors, les fondements démocratiques de cette union  et insiste sur la démocratie interne des partis mais aussi sur la nécessité d’un travail que chaque militant devrait faire sur lui-même pour acquérir un comportement de démocrate:   Il n’y avait pas, pour lui, de démocratie, sans démocrate. « Certes, notre société est dominée par un esprit de soumission et un caractère féodal. Cependant, il est inadmissible pour un militant démocrate au nom de cette réalité ou spécificité de se comporter de cette manière avec sa famille, son entourage et la société en général. Si notre ambition est d’instaurer la démocratie pour notre peuple,  nous devons l’appliquer à nous-mêmes. Le plus grand combat que nous devons mener est un combat sur nous-mêmes… Pour rompre avec la mentalité féodale » (1996)

Pour lui, il ne s’agit pas de se « réfugier » derrière des spécificités pour ne pas faire d’effort sur soi…ou pour considérer que nous ne pouvons accéder qu’à des droits minorés.

En mai 1996, lors d’un rassemblement à la brasserie Lipp,  le jour où Hassan II était reçu à l’assemblée nationale  à Paris et intervenait sur les spécificités marocaines, Abdelghani pour qui la cause des droits de l’homme, inséparable de ceux des citoyens, était non comme une question humanitaire et complémentaire des affaires politiques, mais comme un enjeu essentiel au cœur des luttes socio-économiques, culturelles et de pouvoir. Il disait :

« Il est bien évident que nous, démocrates marocains rejetons le relativisme en matière de démocratie et de droits humains. Les droits universels de l’homme dans leur totalité sont ou ne sont pas Nous n’acceptons pas des droits minorés sous prétexte que notre pays est sous-développé, que notre peuple n’est pas mûr ou que la situation est pire ailleurs. Nous n’acceptons pas la thèse qui fait d’un Etat de non-droit un soi-disant « rempart contre l’intégrisme ».

Il était très sceptique en une possibilité de changement du système monarchique autocratique au Maroc.  C’est ce constat qui rend urgent le rassemblement de la gauche pour la démocratie. Un rassemblement qui tient compte d’une stratégie pour imposer l’Etat de droit, un rassemblement pour  « Rompre le cercle vicieux: crise politique-crise économique par des réformes démocratiques profondes permettant au pays de saisir sa chance et d’ouvrir la voie du développement et du progrès. »

Il savait le danger pour la démocratie de la politique autocratique au-delà de nos frontières et qui nécessitent le rassemblement de démocrates extra nationaux. Au-delà de l’union des forces de gauche, c’était la nécessité de l’union avec la société civile et politique , et la nécessité de l’union d’un Maghreb démocratique et même au niveau de l’Afrique.. 

S’il rencontrait souvent des amis politiques de toutes tendances ou conviction. Hassan Haj Nasser doit se  souvenir du projet d’une revue « Interface »

Il rencontrait des militants d’Afrique pour échanger sur cette question avec optimisme et espoir:

N’Daye, ancien ministre malien des finances écrivait à notre ami Antoine De Bary, artiste peintre, ceci: «  Je suis bouleversé par la mort d’Abdel. J’ai reçu, il y a deux jours seulement sa lettre datant de fin juillet (27). Il parlait d’avenir. Il parlait des projets et parlait avec espoir« .

Quant à Hadjeres, un grand combattant contre la colonisation française en Algérie et pour la démocratie dans son pays « La maladie qui l’a frappée ne nous a pas permis de pousser les échanges aussi loin que nous l’aurions souhaité. Elle ne lui a pas permis de m’exposer plus profondément un projet qui lui tenait à cœur, celui d’une revue où les acteurs et chercheurs politiques du Maghreb s’efforceraient de dépasser les visions étroites qui entravent la créativité, les capacités de mobilisation et d’unité d’action du champ politique démocratique  et progressiste maghrébin »

Pour conclure, je souhaiterai reprendre l’hommage que nos enfants lui ont rendu au lendemain de sa disparition car au-delà du politique, la générosité de l’homme, son humilité et son esprit d’ouverture est un héritage qu’il aura laissé et que nos enfants  honorent  à merveille. 

Rhita, à 15 ans, avec spontanéité et lyrisme disait à son père « 

« Tu m’as appris en plus de l’honnêteté,
la pureté, la bravoure et la bonté,
que le plus important n’est pas d’atteindre son but
mais de se battre jusqu’au bout
pour être honnête envers nous-mêmes.
Que l’essentiel n’est pas d’être la plus belle des roses
mais de réussir, avant de faner,
à répandre une odeur qui restera à jamais. »

Quant à Amine, notre fils –  qui fait un travail formidable pour le site « Maroc Réalités » et sans qui celui-ci n’existerait plus –  après avoir considéré tous les objectifs que son père n’avait pas eu le temps d’atteindre, écrivait finalement :

« La vie n’est qu’un geste.
Nous ne vivons que pour la beauté du geste. »

10 ans après sa disparition, sa famille bien sûr mais bien de ses amis et camarades n’oublieront pas celui  qui était à la fois politique, chanteur et musicien, footballeur  et faisant Aljazal…Il aimait la vie…

Son frère Abdellah, ex entraîneur du Kawkab de Marrakech,  m’écrivait dernièrement « c’était tout simplement mon frère avec qui j’ai vécu une enfance heureuse, …puis le destin est intervenu pour écrire une histoire à laquelle je ne m’attendais pas mais qui a dévoilé, en plus des exceptionnels qualités humaines que j’ai côtoyées en lui et vécues depuis notre naissance, l’existence d’une grandeur d’âme profondément ancrée dans des idéologies d’un niveau nettement supérieur à l’époque qu’il a vécue. C’est vrai, il y a 10 ans mais il est toujours là et continuera à être là ».

Merci  à tous ces amis et camarades d’avoir été complices de cet espoir de liberté, de justice et de droit et d’avoir souvent témoigné de la dimension humaine d’Abdelghani, qui était le fil conducteur de ses convictions et de ses  principes de combat pour la dignité humaine.

Hommage à toutes celles et tous ceux présents ou  absents, qui ont été à ses côtés dans son parcours politique, quelle que soit  les routes différentes que chacun aura prises à un moment donné.

Hayat Berrada-Bousta
20 septembre 2008


[1] – Traduit du texte en arabe