Intervention en 2011 lors de la rencontre organisée par l’AMF pour le 50ème anniversaire de sa création et le foyer Picoulet qui, depuis un certain nombre d’années, est un cadre où le vivre ensemble et le dialogue interculturelle ont toujours été une priorité.
Cette intervention reprend des points de l’intervention faite le 31 octobre 2009 à l’occasion de la 44ème année de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka.
Il est nécessaire d’approfondir le débat sur cette question qui crée une sorte de consensus souvent démagogique et qui reste dans le flou en maintenant une incohérence entre position et pratique, entre constats et moyens mis en oeuvre pour que le vivre ensemble s’exprime dans la Cité.
En premier lieu, l’interculturalité suppose la reconnaissance des diversités culturelles, « héritage commun de l‘Humanité » selon la déclaration il y a 10 ans, en 2001 de l’UNESCO qui, le 18 mars 2007, a intégré à l’ordre juridique nationale la convention pour la protection et la promotion des diversités culturelles comme réponse à l’uniformité culturelle.
Parler de multiculturalisme n’aborde pas nécessairement la question de l’interculturalité.: le multiculturel est la juxtaposition des cultures différentes, c’est une mosaïque des cultures qui privilégie les catégories et les caractéristiques spécifiques, l’interculturel est une interaction entre les groupes, les individus et donc les identités; c’est une évolution dans la réflexion sur la gestion des diversités qui devrait concilier l’ identité culturelle et hétérogénéité des populations. L’interculturel suppose un dialogue.
La notion de dialogue ne signifie pas le fait de parler ensemble mais elle est un échange pour l’un et par l’autre et réciproquement : il a son sens dans la connaissance et reconnaissance mutuelle.
Quelle est donc la façon dont nous vivons ensemble en France ? Que proposer dans nos quartiers?
En France, ce dialogue ne peut se faire sans l’histoire et les Mémoires des immigrations qui fait partie de l’histoire de France.
« Ils resteront. Et c’est tant mieux » disait Bernard Stasi il y a plus de 30 ans. Où en est –on aujourd’hui ?
La société française est multiculturel et multiethnique, on ne peut plus vouloir vivre ensemble sans tenir compte de l’autre « qui vient d’ailleurs ». Qui est-il ? Quelle est son histoire ? Quelles sont les raisons qui l’ont amené à quitter son pays ?
Les différentes immigrations se sont installées en France depuis les débuts du siècle dernier et en particulier vers les années soixante, au moment de la croissance économique. Elles ont été des acteurs du développement de la France après la 2ème guerre mondiale.
Alors que la France est devenue depuis 1850 une terre d’immigrations (révolution industrielle, croissance économique, guerres et problèmes démographiques…), ce n’est qu’avec la politique du regroupement familial que l’on a commencé à « s’intéresser » à cette Mémoire.
Cette sédentarisation dont la France n’avait pas tenu compte (l’immigré est un bleu de travail qui retournera tôt ou tard chez lui) a eu le mérite de susciter toutes ces interrogations sur le « vivre ensemble » et de pousser les acteurs de terrain, les institutionnels mais aussi les immigrés et leurs enfants à y réfléchir : quel est le regard du pays d’accueil ? Comment l’immigré se perçoit dans ce pays qui est de plus en plus celui où il s’installe, le pays de ses enfants.
Comment ces derniers perçoivent les trajectoires de leurs parents mais aussi les comportements envers eux ? Quelles sont leurs réactions, leurs attentes… ?
Les enjeux de l’interculturalité sont de pouvoir y répondre en mettant en place les outils nécessaires pédagogiques, matériels et humains en matière de communication interculturelle et de créer les espaces nécessaires pour vivre ensemble et la qualification des acteurs de terrain.
Le « vivre ensemble «
Au début des années 80, le Front National réactive les vieux discours nationalistes sur l’identité nationale. Paradoxalement, c’est en faisant cela qu’il va contribuer à placer la Mémoire des immigrations au coeur du débat, débat entamé par la Marche des jeunes de deuxième génération, les« Beurs », pour la reconnaissance de leur citoyenneté . Ce cri des jeunes « vivons ensemble avec nos différences » était fondateur du dialogue interculturelle et traçait les enjeux de ce dialogue… A t-il était entendu ?
Au niveau des prises de position politique et théorique ce n’est qu’en Février 1991 que la mise en place du Haut Conseil d’Intégration formulera de manière claire la définition de l’intégration « L’intégration consiste à susciter la participation active à la société toute entière de l’ensemble des femmes et des hommes appelés à vivre durablement sur notre sol en acceptant sans arrière pensée que subsistent des spécificités notamment culturelles, mais en mettant l’accent sur les ressemblances et les convergences dans l’égalité des droits et des devoirs afin d’assurer la cohésion de notre tissu social »
Nous avons là tous les ingrédients pour mieux vivre ensemble: reconnaissance des diversités sans arrière pensées et donc sans stigmatisation; l’égalité des droits et des devoirs, garants de la cohésion sociale….
En 2006, le ministère de l’intégration reprendra ce rapport en mettant l’accent sur la question des diversités « L’intégration demande un effort réciproque, une ouverture à la diversité »
Prise de conscience, démagogie, velléités politiques ou sincérité? Je laisse à chacun le soin d’avoir son point de vue.
Mais, le débat est ouvert pour faire du dialogue interculturel un outil permettant cette finalité : le vivre ensemble pour assurer la cohésion sociale.
Pour que ce dialogue puisse aboutir, il faudrait:
- Une visibilité et une lisibilité des parcours et mettre en place les outils nécessaires à la connaissance et la reconnaissance de soi et de l’autre.
- Un changement dans les représentations tenaces de domination. Dans le Nouvel Observateur du 3 novembre 2005, l’historien Pascal Blanchard écrivait :
« L’imaginaire colonial a façonné la France au cours des deux derniers siècles. Nos arrières grands parents, grands- parents et parents allaient aux expositions de la ligue coloniale et maritime, lisaient « Tintin au Congo », découvraient au cinéma « Pépé le Moko » ou « l’Homme du Niger », collectionnaient des vignettes Babania ou pique-niquaient au jardin d’acclimatation devant des Kanaks en cage…et il ne resterait rien de ce passé ? L’exposition coloniale de 1931 connut un triomphe ave 33 millions de billets vendus à Vincennes… et ce ne serait pas un lieu de mémoire de la France au XX siècle ? »
Changer les représentations sur les immigrations et ce, de part et d’autre à savoir la perception de l’immigré et ses descendants par le pays d’accueil mais aussi le regard qu’a l’immigré de lui-même.
C’est la raison pour laquelle l’interculturalité est un processus long qui évolue selon la place que l’on attribue au dialogue interculturel et à son expression dans la Cité. C’est aussi la raison pour laquelle, l’acte citoyen est de faire face à ses obstacles:
Quels obstacles :
Si l’enjeu de l’interculturalité est in fine la cohésion sociale à travers le « vivre ensemble », quels en sont les obstacles ?
- Les stéréotypes : grille de lecture simpliste des individus ( « je suis noir et je n’aime pas le manioc » les maghrébins et le couscous, ; les bretons et les crêpes, les français et le vin, le béret…) mais aussi des évènements « les immigrés sont responsables du chômage », la diabolisation des juifs pour justifier le nazisme, la diabolisation de l’Islam pour justifier les ingérences dites humanitaires et les entrées en guerre…, les idées dites civilisatrices pour justifier les colonisations…)
- Les préjugés : « Juger avant », c’est une opinion préconçue sur un groupe et qui peut lui être défavorable. Avant même de connaître une personne, on en tire des conclusions : ( ex il y a un cambriolage « ce doit être les gitans… les femmes portant un foulard sont soumises..).
- Le racisme : ensemble de représentations portées sur les individus et les groupes en raison de leurs origines. C’est un jugement de valeur.
- Les discriminations : une pratique, un traitement inégal : la lutte contre toutes les formes de discrimination est une responsabilité de tous. Comme le dit le rapport Fauroux (Septembre 2005 « Nous avons tout à perdre quant à l’équilibre de notre société à laisser subsister ces iniquités sociales qui se doublent d’un gâchis économique. ».
« Les discriminations affectent durement non seulement les victimes mais la société elle-même. »
- L’ethnocentrisme : on privilégie notre groupe d’appartenance et c’est le seul modèle : Cette attitude conduit à l’assimilationisme ( être semblable ou « ressemblable ») qui est l’uniformisation culturelle . La notion en droit de « se comporter en bon père de famille » sous-entend « français ».
- Le communautarisme : Le repli sur soi face à cette obligation de ressembler. : « c’est ma culture…et se réfugier derrière le culturel. »
Ces 2 attitudes ne permettent pas le dialogue et ne favorisent pas la citoyenneté.
D’un côté, on cherche à ignorer voir effacer la culture de l’autre : comment s’étonner alors que l’on ait généré l’agressivité comme expression de vie et moyen de se faire entendre. Conséquence : il n’y a plus d’échange.
De l’autre côté, on se cache derrière les spécificités culturelles et/ou cultuelles et on ne veut pas tenir compte des normes ou loi dans l’espace où l’on réside tout en s’installant dans la « victimisation ». Là encore, il n’y a pas d’échange.( exemples…)
Sans entrer dans les raisons qui conduisent à ces attitudes, raisons dont il faut tenir compte, notons que lorsqu’on n’a pas eu la possibilité et l’espace de valorisation de notre culture et donc de notre identité, il est explicable de se replier sur la sienne et même au fil du temps de vouloir l’imposer pour répondre à l’autre qui a voulu nous assimiler.
Un relativisme culturel est instrumentalisé par les deux parties :
- On culturalise les situations (« c’est pas un problème pour eux, c’est leur culture… »)
- On se réfugie derrière les « spécificités » que l’on connaît souvent pas mimétisme : on qualifiera d’occidentalisés tous ces immigrés qui veulent s’ouvrir aux diversités culturelles, de renégats tous ces immigrés d’éducation musulmane et non pratiquants…
Croire que le communautarisme fermé, le repli sur soi n’est que la conséquence d’attitudes réfractaires au changement en responsabilisant les immigrés et leurs descendants ne tient pas compte de la responsabilité du système du pays d’accueil qui l’a favorisé.
Le communautarisme fermé et rigide n’est que la face d’une même monnaie : l’autre face est l’assimilationisme et la non reconnaissance de l’autre.
L’hétérogénéité sociale, se traduit souvent par des tensions permanentes sous couvert de culturalisme : les problèmes sont essentiellement économiques et sociaux. « La culture est otage de ce qui ne la concerne pas ». C’est dans le lit de la misère que se déploient les extrémismes tant politiques que religieux, c’est là où se conjuguent les rejets de part et d’autre.
Pour conclure
Malgré les discours, on a assisté à une hésitation dans la volonté politique pour s’intéresser à la destinée de toutes ces populations et à l’impact de cette indifférence sur la cohésion sociale.
L’invisibilité entraînera une attitude ostentatoire que l’on verra sur les manières de s’habiller comme d’imposer haut et fort ses spécificités que celles-ci soient ou ne soient pas contraire à la République.
La non reconnaissance engendrera les colères: à chaque manifestation de colère, des promesses sont affichées mais ne sont pas respectées et génèrent d’autres manifestations de colère.
Pour permettre ce que l’on nomme cohésion sociale dans les diversités d’opinions, de positions, de croyances….Il est nécessaire, pour cela, individuellement et collectivement de faire un travail sur ses représentations. En effet on a construit de puissants archétypes, des stéréotypes, des préjugés qui handicapent ce dialogue.
Hayat Berrada Bousta
28 Février 2011