Au moment où s’organisait forum mondial des DH, l’Association des Marocains en France appelait à une rencontre dans le cadre du « Mois du Maroc » sur l’engagement politique des marocains en France.
Bref historique de cette cette émigration:
Avant l’instauration du Protectorat, l’immigration marocaine en France était insignifiante. Certes, on peut noter qu’ en 1905, en pleine révolution industrielle en Occident alors que l’Algérie était occupée depuis 1830, la Tunisie en 1881 et que le Maroc était sous un régime international, la France recrute des marocains pour travailler dans les usines de métallurgie à Nantes et Bordeaux.
La guerre 14-18 déclenche le phénomène migratoire. C’était essentiellement une migration militarisée comme l’avait souligné Elkebir Atouf, historien et professeur d’histoire à Agadir lors du colloque organisé par l’AMF en juillet 2010 dans le cadre de la caravane de Mémoire.
Après la 1ère guerre mondiale, ils seront particulièrement envoyés à l’Est de 1920 à 1930 pour la construction de la ligne Maginot, cette ligne de fortifications et de défense contre l’Allemagne.
De 1942 à 1956, date de l’indépendance marocaine, les émigrations de marocains étaient limitées au Sud du Maroc, notamment “ le territoire d’Agadir”. Ceci pour des raisons politiques: en effet, dans cette région berbère, la colonisation militaire s’était confrontée à une grande résistance.
Ce que l’on a appelé la pacification ne s’est achevée qu’en 1936, 24 ans après l’acte de protectorat. L’immigration avait disloqué la cellule familiale et vidé cette région de la population masculine.
Quant à la population du Rif, ce n’est qu’à partir de 1954, qu’ils seront envoyés en France. Les habitants d’Oujda étaient employés principalement dans les chantiers de l’Algérie coloniale. Ce, jusqu’à la guerre d’Algérie en 1954.
Leur émigration va s’intensifier après le soulèvement populaire 1958-1959 contre le régime répressif marocain d’après l’indépendance qui se termina dans un bain de sang .
Ainsi, vont se juxtaposer des politiques migratoires dans des contexte de colonisation avec une prise de conscience de l’exploitation et l’instrumentalisation de populations qui marquera leur engagement et leur mobilisation face à la situation sociale et politique dans leur pays.
Parallèlement, on avait assisté à l‘évolution du mouvement estudiantin. D’une université réservée à l’élite bourgeoise dans les années 20-30, on assiste à l’entrée à l’université de couches populaires. Les étudiants vont alors jouer un rôle important de prise de conscience contre toutes les formes d’injustice et seront aussi un relai des revendications nationales.
UN ENGAGEMENT DE LONGUE DATE.
C’est essentiellement au début des années 50 que l’engagement des marocains tant au niveau du Maroc qu’en France sera de plus en plus important. Cette période coïncide avec le développement de la résistance au Maroc en raison de différents événements : l’assassinat du syndicaliste tunisien Farhat Hachad, grande figure de la résistance tunisienne, assassiné en 1952 par le colonialisme français.Suite à son assassinat, des émeutes eurent lieu dans les carrières centrales de Casablanca et seront violemment réprimées par la France ainsi que l’exil du roi Mohamed V. La recrudescence de la résistance amène des marocains en France au syndicalisme (en particulier à la CGT) et intensifie leur volonté au combat.
Des cellules de la Résistance qui ont un rôle important sont organisées dans plusieurs villes de France : Gennevilliers, Bondy, Clichy et Saint-Étienne. C’est ainsi que la direction nationale du mouvement de résistance compte des immigrés parmi ses membres. Au-delà du soutien politique au parti de l’Istiqlal, ils contribuent au financement de la résistance par la collecte de fonds et certains d’entre eux soutiennent dès le début des années 50 la lutte armée pour combattre la colonisation. D’autres quittent la France pour s’investir dans le combat anticolonial au Maroc et intégrer la résistance marocaine.
A l’indépendance en mars 1956, certains d’entre eux retournent travailler en France. Sous le règne de Hassan II, dans un contexte politique très tendu, ils s’impliquent dans le combat contre la monarchie absolue à partir de la mise en réseau des immigrés aux niveaux français et international.
L’exil d’anciens combattants de l’Armée de Libération Nationale et de résistants s’accroît à partir de la fin des années 50 et début 60 en raison d’une politique répressive du régime qui s’accentue : détentions arbitraires, massacres, exécutions…Une longue liste de répression qui amène plusieurs anciens résistants et jeunes militants à se réfugier en Europe (Espagne, France, Hollande, Belgique, etc.) et en Algérie où ils organisent plusieurs actions d’information, de mobilisation de leurs compatriotes et de solidarité internationale et française.
C’est dans ce contexte politique que s’inscrit l’évolution des pratiques citoyennes des Marocains à l’étranger. Au contact de syndicats et de milieux politiques de gauche en France, ils se rassemblent à partir de 1960 dans une organisation de masse, l’Association des Marocains en France (AMF), sous l’impulsion de Mehdi Ben Barka. Ce cadre de rencontres entre travailleurs, étudiants marocains et militants politiques se préoccupe en particulier de la situation sociale, politique et économique au Maroc.
La rue « Serpente » à Paris est, alors, l’adresse du local de l’AMF : c’est dans ce lieu que s’organise, alors, la majorité des manifestations contre la répression au Maroc. Les structures de solidarité se développent. Les échanges politiques s’accentuent. Les militants des pays du Maghreb s’y rencontrent.
L’enlèvement en plein centre de Paris le 29 octobre 1965 de Mehdi Ben Barka est incontestablement un moment important dans l’action des Marocains en France.
Cette affaire, qui a marqué la France du XXème siècle et conduit le général De Gaulle à rompre les relations de la France avec le Maroc, a eu pour conséquence une mobilisation plus importante des Marocains qui progressivement s’intéressent, en particulier en mai 1968 et au contact du développement des libertés d’expression en France, au sort des immigrés comme le montre leur participation en mai 68 à Billancourt.
Mais, pour le régime marocain, la citoyenneté de « ses sujets » en dehors du territoire national est un problème à gérer. Il lui faut limiter voire contrecarrer les «effets subversifs» d’une citoyenneté qui échappe à son autorité. Ceci, d’autant que les réfugiés politiques, de plus en plus nombreux, étaient à la tête du militantisme dans l’immigration et mobilisaient des Marocains non seulement autour des questions relatives à leur résidence en France (revendications de leurs droits, organisation de stages de formation et d’alphabétisation, etc.) mais aussi autour des situations que traversent leur pays.
Le régime marocain tente alors de gérer cette situation qui lui échappe en créant en 1973, dans un climat de répression généralisée au Maroc « l’Amicale des Ouvriers et des Commerçants Marocains en Europe » en vue de marginaliser l’AMF et les associations marocaines à l’étranger.
Pour un grand nombre de Marocains, cette officine apparut comme un instrument d’intimidation dont l’objectif était de paralyser et briser leurs activités syndicales et qui, grâce aux moyens mis à sa disposition, voulait mettre au pas l’immigration marocaine de plus en plus combative. Des militants syndicalistes sont menacés. Pendant l’été 1976, des dizaines d’entre eux sont arrêtés à leur retour au Maroc.
Ces différentes activités liant la situation des Marocains en France à la situation de leur pays ont permis aussi de développer la solidarité auprès d’organisations françaises : organisation des comités pour la vérité sur la disparition et l’assassinat de Ben Barka, activités des comités de lutte contre la répression au Maroc, manifestations contre la répression comme celle de 1981, suite à la répression des événements de juin 1981 au Maroc.
Ces actions jouent un rôle important dans la mobilisation et les informations de situations critiques pendant les années de plomb: le bagne de Tazmamart, les procès iniques, les tortures, les exécutions.Toutes ces implications en relation avec les combats menés au Maroc accélèrent la dénonciation des pratiques répressives du régime marocain. Elles sont à l’origine de la libération des détenus de Tazmamart, de dizaines de détenus politiques et, suite au discours d’amnistie générale prononcé par Hassan II en août 1994, du retour des exilés politiques alors rassemblés dans une structure : le Rassemblement des Exilés Politiques Marocains (REPOM).
Ainsi, les différentes actions menées par les démocrates marocains en France comme dans plusieurs autres pays (Espagne, Belgique, Hollande, Allemagne, Algérie, etc.), quelles que soient les structures auxquelles ils adhérent, leur combat pour l’amélioration de la situation au Maroc a largement contribué aux « acquis » perçus depuis le début des années 90 grâce au travail d’information, de sensibilisation de l’opinion française et internationale.
Cet engagement des Marocains en France est souvent en lien avec leurs engagements antérieurs dans différentes structures politiques et/ou associatives et avec l’impact de ces conditions de vie sur leurs familles restées au pays. Progressivement, ces prises de conscience les mobilisent aux conditions de leur vie en France et aux questions de reconnaissance de leur citoyenneté ici et là bas, souvent encouragés par les organisations syndicales françaises.
A partir des années 2000 et principalement depuis 2011, les différents mouvements de contestation dans les mondes arabe et méditerranéen ont changé, malgré les interrogations actuelles sur leurs évolutions, le regard du monde occidental sur ces pays et leurs peuples. Ils ont remis en cause des régimes autoritaires et corrompus avec la complicité des pays occidentaux ayant pour conséquence une fracture sociale de plus en plus profonde conduisant des femmes et des hommes à s’immoler par le feu ainsi que des pouvoirs qui utilisent violences physiques, verbales, intimidations et baltagias tout en soulevant la question de l »impact de l’Islam comme religion d’Etat avec ses traductions différentiées.
Les différents combats menés par leurs populations pour la reconnaissance de leur citoyenneté, leurs droits et leur dignité au-delà des questions de pauvreté ne datent pas d’aujourd’hui. Ils sont marqués en lettres de sang dans plusieurs de ces pays et en sacrifices ininterrompus depuis de longue date.
Au Maroc, le mouvement du 20 février en 1911 marque un élan d’engagement « renouvelé » de marocains en France en lien avec la situation politique au Maroc. Malgré l’omerta des médias sur ce mouvement, ils contribuent à sensibiliser l’opinion internationale. Solidaires ou parties prenantes, ils ont un rôle de relais malgré les difficultés à faire entendre leur voix: Plusieurs villes organiseront des comités de soutien ou des coordinations de Mouvement du 20 février : Montpellier, Marseille, Avignon, Nantes, Rennes, Lille, etc.Tractages dans les quartiers populaires, rassemblements devant l’ambassade et les consulats du Maroc, conférences de presse, interviews, publications de communiqués et de bulletins d’informations ont incontestablement mobilisé des marocains en France. Ils ont initié des formes de contestation nouvelles conjuguant revendications et animations culturelles. Ils ont aussi rendu publics des débats sur le genre à l’instar de ce qui se passe au Maroc.
La plupart des jeunes engagés dans cette coordination du 20 février, étudiants en France depuis 3 mois à 3 ans comptent retourner au Maroc après leurs études. Ces jeunes étudiants dans le Mouvement ne se sont pas intéressés à la situation des immigrés. Leur souci est la contribution, à l’évolution économique et sociale du Maroc plus qu’à la mobilisation des jeunes nés en France qui, pour la plupart d’entre eux, ont une image de leur pays à travers la télévision française qui présente cette exception marocaine.
Ces difficultés à mobiliser les immigrés marocains et leurs enfants nés en France ne datent pas d’aujourd’hui même si, comme nous l’avions vu, la mobilisation de travailleurs immigrés fut importante auparavant. Depuis les années 90, elle diminue car, de très dures, les conditions aux frontières vont s’améliorer. Ceci pourrait expliquer le désengagement de plusieurs immigrés et l’affaiblissement des associations marocaines.
Ainsi, d’une part: l’implication des militants politiques et des exilés s’explique par des convictions et des engagements qu’un certain nombre d’entre eux avaient dans leur pays et par leur engagement dans les organisations syndicales et politiques. Ils ont mobilisé l’opinion française et internationale, et contribué aux différentes réflexions idéologiques et politiques.
D’autre part, le rapport des immigrés à leur pays d’immigrés a été souvent entaché d’affectif, de dépassement de la rupture et du deuil avec leurs familles restées au pays et d’une recherche de repère identitaire.Le rapport des immigrés à leur pays d’immigrés a été souvent entaché d’affectif, de dépassement de la rupture et du deuil avec leurs familles restées au pays et d’une recherche de repère identitaire.
Enfin les différents dispositifs français en matière d’immigration, les dénigrements systématiques, la politique d’assimilation niant le respect de l’autre et de sa culture : autant d’attitudes qui amènent des jeunes à vouloir imposer la culture voire le culte du pays d’origine de leurs parents. Certains vont alors instrumentaliser l’Islam et trouveront une écoute attentive mobilisant autour d’eux des jeunes souvent en interrogation identitaire qui seront convaincus que leur voie est celle d’un Islam de leur pays bien plus qu’un combat pour l’égalité des droits ou les changements structurels au Maroc.
L’indépendance formelle du Maroc favorise toujours les dépendances économique et culturelle et ne permet pas d’imposer la réciprocité nécessaire pour le développement du Maroc pour que la population de reste dans son pays. Ceux qui ont refusé de « brûler » la frontière en rejoignant de manière active le Mouvement du 20 février soulèvent la nécessité d’une restructuration des rapports Nord-Sud qui ne pourra se faire sans la déconstruction, tant d’une culture « coloniale » comme le montrent les jugements de valeur sur les civilisations, les discriminations, les réactions racistes envers les immigrés et leurs enfants, que d’une culture de domination Sud-Sud comme le montrent ces réactions de mépris à l’égard des populations subsahariennes au Maroc .
De telles attitudes ne permettent pas ce « vivre ensemble », qui se trouve contrarié par les effets de la domination historique, sociale et économique et de non reconnaissance des principes d’indépendance véritable, de citoyenneté, de droits, d’égalité et de liberté : tout autant de référentiels nécessaires à une démocratie véritable.
Hayat Berrada Bousta,
08 novembre 2014