Femmes étrangères: droits et réalités – 1993

Intervention lors d’un colloque à Strasbourg au Parlement européen avec le Comité Marocain pour la Coopération et les Droits de l’Homme (CMCDH) le 25 juin 1993. Un colloque sur les questions de droits humains et de démocratie.

En écoutant mes compatriotes et leurs interventions sur les conditions de vie des femmes marocaines, on pourrait dire : « Heureuses les femmes étrangères en France ». Eh bien non, car la discrimination qu’elle soit mineure ou majeure est à condamner énergiquement.

Il sera difficile, ici, d’approfondir la question par nationalités. On considèrera donc le problème dans sa globalité et l’on se réfèrera, pour certains points, à des situations dans des pays déterminés (principalement Algérie et Maroc).

Les femmes étrangères dans le contexte de l’immigration

Antérieurement absente du débat sur l’immigration, la femme étrangère va y prendre une place de plus en plus importante et on ne peut plus parler d’insertion ou intégration en l’ignorant. Ce phénomène est essentiellement lié à l’évolution de l’immigration en général. : l’immigré marié ou célibataire venu seul de son pays pour travailler en France et contribuer par son travail au développement de la France, cette approche de l’immigré a changé : les mesures sur le regroupement familial ont permis l’évolution de cette approche de l’immigration devenue familiale : le droit d’accueillir sa femme et ses enfants était acquis (même si les conditions exigées sont de plus en plus draconiennes et engendrent l’exclusion) mais pas les moyens pour que ce regroupement puisse se faire dans des conditions d’accueil, dignes d’un pays des Droits de l’Homme.

C’est alors que sont apparues progressivement et en s’aiguisant, les difficultés que rencontrent ces familles étrangères en France : santé – logement – scolarité.

D’autre part, la montée de l’intégrisme musulman va, entre autre, contribuer à soulever les questions autour de la condition de la femme musulmane en France : “ celui-ci aura eu, paradoxalement un grand mérite : celui de rappeler que l’immigré, traditionnellement défini et représenté comme un travailleur de sexe masculin, plutôt célibataire, éventuellement pourvu d’une famille, entité vague et indéterminée, est aussi dans plus de 40 % des cas une personne, de sexe féminin. Les excès et violences intégristes, en visant principalement les femmes, ont eu pour effet indirect d’attirer l’attention sur la situation qui est faite à celles-ci, non seulement dans les pays d’origine, mais aussi sur le territoire français ”. (Maître Sylvia Laussinotte, avril 1990 “  étrangère et femme ”une double discrimination)

Germaine Tillon en 1966 dans : “ Harem et les cousins ” et à propos de la montée de l’intégrisme musulman “ la femme méditerranéenne serait la grande victime de ce durcissement, et par la femme, à travers la femme, l’ensemble des habitants subirait un très grave retard ».

C’est révéler non seulement les problèmes spécifiques que rencontre la femme en général, où qu’elle soit mais surtout confirmer que ces questions nous intéressent tous dans notre combat pour le développement, non seulement de nos pays musulmans mais aussi dans le monde.

Quant à la politique de l’immigration en France, elle n’est pas particulière à la femme étrangère mais, dans les faits, cette dernière rencontre des difficultés spécifiques inhérentes à cette politique globale. Celle-ci (la politique), et de manière plus manifeste aujourd’hui, représente pour tous les étrangers résidant légalement en France une véritable injure à leurs droits et dignité dont la “ chasse au faciès ” avec tous les amendements scandaleux qu’on tente d’y apporter n’est qu’un volet. On ne va pas s’étendre ici sur la loi Pasqua et ses conséquences non seulement sur les étrangers mais sur le dialogue équilibré entre communautés, seul garant de la sécurité. Cette loi n’engendrera, en fait, qu’insécurité malsaine. On se cache derrière la chasse aux clandestins (tout en facilitant par ailleurs leur entrée pour des travaux sous-payés et non déclarés dans le bâtiment, l’habillement (pour les femmes), les travaux saisonniers…) pour brimer les droits de ceux qui sont établis en France depuis longtemps et de manière régulière. Et tout ceci, sous couvert d’une démagogie sur l’intégration alors que tout est mis en oeuvre pour exacerber les uns et les autres en faisant des amalgames archaïques entre : drogue et immigration- chômage et immigration – déficit de la sécurité sociale et immigration…

Un éventail d’affirmations que pourtant, les statistiques, les études vérifiées et qui ne font pas la « une » des journaux, démentent.

Dans ce climat d’intolérance, de xénophobie, d’injustice au mépris des Droits de l’Homme et du citoyen, où peut-on situer la femme étrangère ?

Les droits des femmes étrangères liés à son statut personnel

Toutes les conventions bilatérales avec la France obéissent à une règle de réciprocité : la règle du Code Civil français et la Constitution française stipulent que la loi française s’applique à tous les français où qu’ils soient ; réciproquement, les lois des pays d’origine s’appliquent aux ressortissants de ces pays même quand ils résident en France pour ce qui concerne leur statut personnel. Qu’arrive-t-il, dès lors, lorsque la loi nationale est contraire, sinon différente de la loi française ? Principalement dans les situations touchant le statut personnel de la femme : la polygamie – la répudiation qui sont contraires à l’ordre public français ?

La polygamie est considérée comme un délit en France et pourtant, s’agissant des étrangers, des mariages polygames ont été contractés dans ce pays, (au consulat marocain, par exemple).

Pour une grande partie des cas litigieux, les Tribunaux français ont pris des décisions discriminatoires contre des femmes étrangères alors que les Traités Internationaux proclament l’égalité des sexes et s’imposent en principe aux juges français en vertu de la Constitution française.

Trois exemples pour illustrer ces conventions:

a – L’entrée et le séjour

Il n’y a pas de disposition spécifique mais, dans la pratique l’application qui leur en est faite rend difficile la possibilité pour la femme étrangère d’obtenir un statut indépendant : depuis la “ fermeture des frontières à l’immigration économique ”, elles ne peuvent en général venir en France que selon les conditions de travail et d’hébergement du mari et seront tributaires de celles-ci, elle n’a pas d’autonomie administrative. Les complexités apparaissent lorsqu’elles se retrouvent seules avec des enfants (séparation, veuvage…). Cependant, La réglementation du séjour des étrangers vue sous l’angle des femmes se réfère aux différentes conventions.

Exemple : La Convention franco – algérienne (27/12/68). Contrairement à la loi Joxe selon laquelle les étrangers peuvent quitter le territoire français pendant trois ans, pour les algériens, toute absence du territoire français de plus de six mois, annule les droits au séjour ; ainsi, certaines femmes algériennes répudiées ou parties en vacances dans leur pays, y sont restées, par la volonté du mari, plus de six mois et n’ont pu retourner en France surtout lorsqu’elles ont des enfants et que le mari ne donne pas l’autorisation de sortie pour ceux-ci.

Les jeunes filles de 18 -21 ans connaissent ces situations dramatiques : L’âge de la majorité en France est 18 ans. Elles acquièrent alors une responsabilité et une autonomie administrative… (de séjour , en particulier). Cependant, si elles rentrent en vacances avec leurs parents, la loi algérienne les considère comme mineures (majorité à 21 ans) et elles ne peuvent quitter leur pays qu’avec une autorisation paternelle. Si le père a l’intention de les marier contre leur gré et de les laisser dans leur pays pour qu’elles ne se « dévergondent pas », il ne leur accorde pas cette autorisation et au bout de six mois, elles ne pourront plus retourner en France, après y avoir fait leur scolarité et études.

On doit mesurer le drame que vivent toutes ces femmes lorsqu’on connaît la situation politique dans ce pays.

b – La polygamie

Comme nous l’avions souligné, les conventions bilatérales sont soumises à la règle de réciprocité sauf si celle-ci remet en cause l’ordre public. Cette réciprocité ne devrait donc pas s’appliquer pour les cas de polygamie et de répudiation, considérées en France comme un délit.

Or, le Conseil d’Etat reconnaît souvent implicitement le droit au séjour de la seconde épouse dans le cadre du regroupement familial.

Il entre parfois en conflit avec le Préfet qui, lui, refuse de régulariser la situation de la seconde épouse. L’exemple de l’arrêt MONTCHO en juillet 1986 est manifeste de ces contradictions. Le Conseil d’Etat a permis à la seconde épouse, de rejoindre son mari. Cette position en faveur de la polygamie a été très controversée et a eu des conséquences interprétatives contradictoires :

1 – Les associations des femmes immigrées l’ont dénoncée.

2 – Une partie de l’immigration masculine l’a considérée comme un acquis, une reconnaissance de la polygamie pour les « musulmans en France ».

3 – Certains professeurs et juristes français ont applaudi la décision en insistant sur le fait que « l’obligation de cohabitation n’a en soi rien de choquant… ». Pour qui ?

On voit que ce problème est difficile à aborder : en théorie, on le justifie souvent par les spécificités culturelles et cultuelles. Ici aussi, comme le disait Peter Lepretch, on se réfère aux relations culturelles dans l’application de la loi. On le compare alors à l’acceptation de l’adultère en oubliant que celui-ci peut être réciproque, alors que la polygamie est à sens unique et est imposée sous le toit de la première épouse ; toutes les enquêtes effectuées principalement au Maghreb soulignent combien elle est mal acceptée par les femmes.

Si la polygamie est toujours assez répandue en Afrique sub-saharienne où l’islamisation récente recouvre des coutumes pratiquées antérieurement, elle se développe aussi au Maghreb et serait l’une des conséquences de la montée de l’intégrisme dans ces pays.

Ainsi la femme étrangère est placée dans un “ Ghetto de droit ”comme dit Maître Sylvia Laussinotte où une femme française d’un conjoint musulman peut devenir, contre son gré l’une des épouses de son conjoint polygame.

Ainsi, certains juges français reconnaissent la polygamie en vertu de l’ordre public atténué (alors qu’en Allemagne le critère « atténué » n’est pas pris en considération). Cette « souplesse » dans la loi est la porte ouverte à tous les arbitraires possibles, approfondissant la discrimination envers les femmes étrangères.

Mais, c’est dans ses effets que la polygamie est une véritable discrimination :

– Comment choisir laquelle des deux épouses est rejoignante, surtout lorsque chacune a des enfants du même mari ?

– Dans les problèmes liés au séjour, que signifie la nécessité d’une « cohabitation paisible » lorsque l’on connaît les conditions de logement des familles immigrées ?

– On a pu constater que, dans le cadre du regroupement familial, le séjour d’une seconde épouse était régularisé plus facilement : la polygamie aurait-elle un statut plus favorable que la monogamie ?

Le corollaire le plus fréquent des situations polygames: la clandestinité. Les effets de cette clandestinité (encouragée ou non par le mari) est le maintien d’une épouse dans ses foyers.

c – La répudiation

Exemple de la Convention franco-marocaine :

La répudiation est, par essence, soumise à l’arbitraire du conjoint : elle semble donc incompatible avec l’ordre public français.

Or, malgré cet aspect, elle est reconnue en France. La Convention franco-marocaine signée le 10/08/81, mise en application en 1983 en France et seulement en 1990 au Maroc stipule la coopération judiciaire entre les deux pays sur le plan du statut personnel.

Une répudiation faite en France serait sans effet mais si le mari retourne dans son pays pour y effectuer la répudiation, elle produira ses effets en France : le juge ne fera que constater l’annulation du mariage.

La femme ne peut recourir ni aux règles de droit français, ni aux Conventions Internationales antidiscriminatoires. Elle se retrouve quand elle est répudiée sans ressource et dans une situation dramatique en France.

Cette convention franco-marocaine, la plus archaïque, a des effets néfastes à long terme sur une véritable intégration et insertion.

La complexité des situations, la contradiction entre les lois ont amené les juges à appliquer aux femmes marocaines, et même aux femmes françaises d’un époux musulman, un statut discriminatoire, obéissant aux relations d’Etat plus qu’à la justice. Ainsi, le juge français va souvent plus loin que le juge tunisien qui déclare contraire à l’ordre public le droit marocain en ce qu’il interdit la réparation du préjudice subi par l’épouse en cas de répudiation (!).

En effet, au-delà de la répudiation, ce sont ses effets qui sont scandaleux pour la femme comme pour les enfants qui restent souvent sans droit (pas de pension, arbitraire du séjour…).

Femmes étrangères au-delà de l’aspect juridique, quelle est leur vie quotidienne.

a – Problèmes d’insertion socio – culturelle.

L’une des questions fondamentales posées par le regroupement familial est la nécessité de l’insertion sociale de la famille immigrée et de la femme étrangère. Mais, il ne suffit pas de le dire, il faut pouvoir donner les moyens réels et efficaces pour sa mise en oeuvre comme cela a été dit. On ne peut pas exiger des étrangers et de la femme étrangère une « bonne insertion » au moment même où, dans la pratique, on ne leur donne aucun moyen pour la réussir.

Comment pouvoir ou vouloir s’insérer quand l’environnement vous rejette et vous pousse à l’isolement ? L’insertion n’est pas une assimilation, elle passe nécessairement par la reconnaissance de l’autre, de sa culture, de son identité.

Comment parler d’insertion quand on ne vous donne pas le droit d’exprimer votre avis sur les questions relatives à la commune où vous habitez ? comment parler d’insertion lorsque l’on ne reconnait pas le droit à la citoyenneté ?

Hommes et Femmes, les étrangers ne se sentent pas concernés par l’environnement qui les entoure et, paradoxalement, tout est mis en oeuvre pour les en éloigner de plus en plus.

Ces obstacles à l’insertion touchant tous les étrangers, comment la femme étrangère peut-elle le vivre alors même, comme on le disait plus haut, son statut personnel la met dans une situation précaire ?

– L’isolement : souvent au foyer, mal perçue par l’environnement xénophobe, ne sachant plus (ou pas) quels sont ses droits, tributaire du malaise du conjoint (chômage ou travail pénible, incertitude sur l’avenir…) elle vit l’éloignement de sa vie de famille de manière plus forte que son conjoint. Certes, certaines femmes arrivent à avoir des relations autour d’elles : souvent, féminines et communautaires.

Au-delà de l’isolement, de la difficulté de communication avec l’environnement, l’autre question que soulève la vie de la femme étrangère est celle relative à ses relations avec ses enfants et à son handicap linguistique.

– Dans certaines situations, l’enfant né en France parle le français et ne connait pas souvent, sa langue maternelle ; en revanche, la mère, analphabète ou peu alphabétisée dans son pays d’origine, ne parle pas le français. Ainsi, la communication mère-enfant, en raison de cet handicap linguistique va souvent avoir des effets négatifs sur la reconnaissance, la valorisation de la mère aux yeux de l’enfant.

Ces situations sont fréquentes dans les familles d’Afrique subsaharienne. L’immigration maghrébine, plus ancienne, les a connues dans les années 70/80, et les femmes ont tenté de trouver un équilibre relationnel qui marque son autorité maternelle sur l’enfant, sans pour autant, souvent, l’aider dans son évolution éducative : l’absence de formation en est l’obstacle majeur.

Ces relations mère – enfant vont engendrer des situations parfois contradictoires selon le sexe de l’enfant :

1 – Le garçon voulant prendre la place du père (surtout dans des unions patriarcales qui ne laissent pas -ou peu de place- à la mère) s’oppose (consciemment ou non) à l’autorité maternelle. Il voudra, dès lors, avoir le pouvoir non seulement sur ses soeurs mais encore sur sa mère, en l’absence du père.

Ce combat psychologique qu’il se mène pour une autorité a souvent un impact négatif sur sa scolarité : absence de concentration, d’intérêt et échec…

2 – La fille, elle, se rapproche de la mère mais ne veut pas s’y identifier. La vie quotidienne de sa mère la touche profondément.

A l’inverse du garçon, elle essaiera, par tous les moyens de réussir dans sa scolarité. Les différentes études faites en Ile de France sur la scolarité des enfants dans les quartiers à forte densité d’immigration montrent que la fille étrangère (surtout maghrébine) est souvent très bonne élève.

Certes, on ne peut pas généraliser ces situations, mais ces indications retrouvées dans bien des études sont à prendre en considération dans l’évolution du comportement féminin, dans la problématique de l’insertion.

b – L’accès à l’emploi et l’employabilité des femmes étrangères :

Les statistiques à paraître sur l’évolution de la population active étrangère de 1982 à 1990, sont assez significatives au sujet de la femme.

Si l’on dénote peu de variations de la population active étrangère de 82 à 90, on remarque, en revanche qu’elle connaît des fluctuations internes essentiellement dues à la croissance de la population étrangère féminine. Alors qu’elles ne représentaient que 3,9 % de la population active en France, en 82, elles étaient 4,5 % en 90 ; une augmentation de 30,8 %.

La situation du chômage qui touche les étrangers (les maris) avec la disparition progressive des emplois non qualifiés, incite la femme à être demandeuse d’emploi : c’est un paradoxe positif du chômage qui amène la femme à sortir de chez elle, chercher du travail pour tenter d’assurer une partie des frais du ménage.

On peut noter un taux d’accroissement élevé de la main-d’oeuvre féminine maghrébine et turque :

Ainsi, même si la population active étrangère (C.E.E. comprise) reste essentiellement masculine, la répartition Hommes – Femmes se modifie : En 1982, 76 % pour les hommes, contre 24 % pour les femmes. En 1992, 69.60 % pour les hommes contre 30.60 % pour les femmes.

On notera, toutefois, la différence plus grande parmi la population étrangère hors C.E.E. :

Actifs C.E.E. : 63.20% d’hommes contre 36,80% de femmes.

Actifs hors C.E.E. : 74.20 % d’hommes contre 25.80 % de femmes.

Le nombre de femmes demandeuses d’emploi augmente de plus en plus. Mais celles-ci rencontrent de grandes difficultés en terme d’emploi.

Le taux de chômage étranger est supérieur à la moyenne nationale (accroissement de 43.50 %), surtout pour les étrangers hors C.E.E. Le corollaire : un fort accroissement du nombre de femmes au chômage.

La répartition par sexe est significative, et le chômage de la femme étrangère a augmenté : elles représentent 41.80 % des étrangers au chômage.

Le taux de chômage des actifs étrangers hors C.E.E. a aussi fortement augmenté : 25.70 % contre 10.80 % pour les actifs C.E.E. et 10.40 % pour les français.

Quant au taux de chômage des femmes hors C.E.E., il atteint 38.40 % : il s’explique en grande partie par le chômage des femmes d’Afrique sub-saharienne.

Les constats que nous pouvons tirer de ces deux données relatives à l’augmentation de la population active féminine et, en contrepartie, l’augmentation du taux de chômage de cette population sont les suivants :

1 – Les femmes étrangères, hors C.E.E. se mobilisent de plus en plus pour entrer dans une activité professionnelle. Cette attitude qui n’a pas de conséquence sur leur insertion professionnelle, va contribuer à changer l’image de la femme : à son niveau, elle se prendra plus en charge et recouvrera plus de confiance en elle. Au niveau de son environnement : elle pourra progressivement se faire entendre, voire imposer sa personnalité.

2 – La situation économique générale n’épargne pas les femmes : le taux de chômage augmente car elles s’inscrivent en tant que demandeuses d’emploi.

Cependant, les emplois C.E.S. mis en place depuis deux ans en France, bénéficient souvent aux jeunes femmes étrangères : elles s’y inscrivent et les trouvent adaptés à leur situation familiale.

Ainsi, l’emploi de la femme étrangère évoluerait vers un travail à mi-temps, mal rémunéré et instable.

c – L’accès à la formation :

Ne trouvant pas d’emploi, à quel degré accède-t-elle à une formation professionnelle en France ? Si l’on a pu faire état de l’augmentation de la population active féminine étrangère et de ses difficultés à trouver un travail, ces femmes devraient pouvoir avoir accès à une formation leur permettant de faire aboutir leur projet professionnel.

Les problèmes liés à la langue : les actions de formation pour adultes ne sont pas adaptées aux femmes primo-arrivantes, peu ou pas alphabétisées. Aucune structure conséquente n’est mise en place pour faire face à l’handicap linguistique qui touche les femmes non francophones.

Même si elles ont le droit d’accéder à la formation professionnelle, elles en sont exclues de fait : la Direction de la Formation Professionnelle ne considèrent pas l’alphabétisation comme une formation professionnelle. Les organismes de formation recrutent les stagiaires selon des prérequis linguistiques qui excluent de fait un grand nombre de femmes étrangères et en particulier de l’Afrique sub-saharienne.

Le Fonds d’Action Sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles favorise des actions d’alphabétisation mais ne veut pas remplacer le droit commun (la Formation Professionnelle) dans les actions professionnelles, considérant que l’alphabétisation est une étape vers la formation professionnelle et l’accès à l’emploi.

Entre ces deux institutions, bon nombre d’étrangers et en particulier les femmes se retrouvent sans droit, dans la pratique. Les décideurs ne donnent, en fait, aucune possibilité à bon nombre de femmes (surtout sub-sahariennes) d’user de leurs droits.

Il est étonnant de voir qu’au moment où l’on parle d’intégration, d’insertion… on ne veut pas, parallèlement prendre en considération la base de celles-ci : l’apprentissage de la langue. Le phénomène est plus dramatique pour les jeunes primo-arrivantes ou illettrées dont les formations mises en place par les différentes mesures politiques ignorent la réalité.

Ce n’est là, encore une fois, que confirmation d’une absence de volonté politique véritable en matière d’insertion.

Cependant, l’accès à la formation et à l’emploi des femmes étrangères est aussi marqué par l’entrée de femmes d’un niveau scolaire, voire universitaire assez haut.

d – L’évolution qualitative de l’immigration en général et féminine en particulier :

Depuis les années 80, l’immigration a connu une évolution qualitative : au célibataire analphabète ou illettré, s’est ajouté un certain nombre de cadres (en particulier enseignants en sciences, mais aussi avocats, médecins, cadres d’entreprise) que les conditions de développement dans leurs pays respectifs, les politiques en place ont poussé à émigrer.

Un certain nombre d’étudiants du troisième cycle se retrouve dans cette catégorie et travaille à mi-temps pour pouvoir achever leurs études. Ils sont en France depuis, parfois, plus de dix ans et ont eu des enfants en France. Leurs enfants sont souvent français mais eux, n’ont pas acquis un droit au séjour régulier en France. Les nouvelles mesures sur l’immigration ( lois Pasqua) vont sûrement laisser des traces psychologiques et morales profondes en les mettant dans une situation complexe d’instabilité.

Parmi ces cadres, des jeunes femmes jouent un rôle important dans les associations pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie de leurs compatriotes mais aussi à réaliser et faire aboutir des actions d’insertion des populations étrangères.

Le développement des associations de femmes étrangères, l’implication de toutes ces femmes, de manière bénévole ont largement contribué à faire connaître les difficultés que traversent les femmes étrangères et ont fait évoluer les comportements mixtes.

On comprend dès lors, leur acharnement à contrecarrer l’intégrisme qui, quelle que soit la religion, s’inscrit dans un réel retour en arrière et une remise en cause des acquis.

Parmi ces femmes, un grand nombre de femmes exilées politiques qui, en plus des difficultés d’accès à l’emploi vivent un grand isolement familial, séparées de leurs familles alors que l’on connait la force des liens familiaux dans ces pays d’origine. Au-delà des problèmes matériels, c’est toute la dimension psychologique et personnelle qu’il faudrait souligner.

Pour terminer :

On ne peut aborder la question des femmes en général et des femmes étrangères en particulier, en se cantonnant à son statut personnel ou à des acquis ; on ne peut faire l’économie de la dimension politique de cette question qui relève de notre rapport à la Démocratie, à l’expression égalitaire de tous, où que l’on soit.

Ce n’est pas un hasard si c’est le régime marocain qui, malgré sa façade libérale démocratique, vitrine pour l’Occident, applique le statut personnel le plus archaïque, le plus rétrograde car la reconnaissance de la légitimité des droits de la femme non seulement le remet en cause mais ébranle son autorité sur ses sujets où qu’ils soient.

Non, le combat de la femme où qu’elle se trouve ne peut se suffire de certains acquis dans son statut personnel, il est nécessairement un combat pour la Démocratie non seulement dans les pays dits « sous – développés » mais encore en Occident où l’application de la loi est en deçà de sa lettre. Une véritable Démocratie doit reconnaître dans les textes comme dans les faits et mentalités les droits du citoyen et l’égalité entre les sexes.

C’est un combat qui nous concerne tous pour et qui est garant d’un véritable développement, non pas dans sa conception occidentale mais partant des réalités concrètes dans nos pays. La Démocratie ne se décrète pas sans les hommes et les femmes qui combattent pour elle.

Comme le disait, hier, Peter Leuprecht, chargé de préparer un programme des droits de la personne pour l’Union Européenne:  » l’Occident ne peut se vanter de ses capacités à réaliser la Démocratie« .

Je voudrai aussi souligner ici, la détermination de toutes celles qui, au prix de sacrifices personnels ont participé à la libération de nos pays et celles qui contribuent à cette idée de Démocratie. Elles y contribuent souvent, sans faire de bruit sur leurs actions : martyres de la lutte contre le colonialisme, contre la répression, aux premiers rangs de grandes manifestations que ce soit pour l’avenir de leurs enfants ou pour la Démocratie dans leurs pays ; que ce soit pour faire barrière à la xénophobie en menant des actions pour l’éradication du racisme. Elles ont été là, elles sont là pour une certaine idée de liberté, de Démocratie et de dignité sans pour autant en tirer une gloire personnelle étalée publiquement. N’oublions pas toutes ces femmes marocaines exilées, parfois depuis plus de vingt ans, qui ont été séparées de leurs familles et n’ont plus le droit de partager avec elles joie comme tristesse. Elles continuent à se battre sous différentes formes pour sauvegarder leur dignité ; pour elles, le retour à leur pays ne peut être que conditionné par la promulgation d’une véritable loi d’amnistie générale et non par la « volonté du Prince ».

Je terminerai en rendant hommage à celle qui, depuis près de trente ans, reste en exil non par appartenance politique mais parce qu’entre le régime marocain et elle se trouve l’affaire non élucidée de son mari : Mme Rhita Bennani-Ben Barka. Cela aussi, est un combat pour la dignité et la Démocratie.

Hayat Berrada Bousta,
25 juin 1993