Le 8 mars 2016, à l’occasion de la journée des femmes, Migration-Santé avait organisé en partenariat avec la Cité de la Santé une journée d’étude à la cité des sciences et de l’industrie sur la double discrimination des femmes immigrées.
Dans l’introduction à ce colloque, sur les conditions sociales et familiales des femmes immigrées, Claudine Attias, directrice de recherche Centre Edgar Morin- a mis l’accent sur l’évolution «qualitative» des immigrations féminines en France même si ces familles seront affectées par «l’absence fréquente de la famille élargie et surtout des grands-parents, demeurés au pays.»
Si la politique du regroupement familial avait déjà donné un aperçu de ce développement, actuellement l’aspiration à plus de liberté et d’autonomie qu’elles revendiquent dans leur pays et qui est souvent sans beaucoup de résultat en raison de système autocratique et archaïque, les amène à choisir de partir au risque parfois de leur vie.
Sans généraliser car il est indispensable de tenir compte des diversités de choix et de situations, on peut affirmer que des femmes rejoignantes veulent améliorer leurs conditions de vie et on retrouvera l’immigration féminine hors regroupement familial dans le secteur de service quel que soit leur niveau de formation tel que l’assistance à domicile, métier qu’il est nécessaire de valoriser car indispensable. Cependant, il faut souligner « des risques de précarité et de difficultés, du fait des inégalités de genres face à l’emploi, redoublées d’inégalités entre les femmes immigrées et les autres». On est au coeur même de la discrimination de genre et d’origine.
La discrimination est, comme les différentes contributions l’ont montrée, un phénomène complexe. Plutôt qu’une accumulation de connaissances. L’approche est pluridisciplinaire (culturelle, psychologique, sociologique..,) dans laquelle la dimension juridique tient une place particulière au regard de l’article 225-1 du Code pénal qui définit une liste de critères entrant dans la constitution d’une discrimination et qui précise que c’est un « délit, dont la prescription est de 3 ans, puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000€ d’amendes. » En effet, le droit législatif a introduit des éléments essentiels : la notion de discrimination, les motifs de discrimination et l’extension du domaine de lutte contre les discriminations ou du régime probatoire (comment donner la preuve de la discrimination).
Comment s’articule la loi aux réalités et vécues des femmes immigrées qui sont au moins doublement discriminées ?
Certes, comme on l’a entendu lors de la première intervention de Mounia Zahir, qui met l’accent sur l’émancipation par le droit, le handicap de la langue et la crainte de certaines femmes pour porter plainte quand elles sont victimes de violence conjugale rendent difficile l’exercice du droit.
Mounia Zahir a donné un éventail assez large des violences faites aux femmes en général et a précisé le rôle du Centre National d’Information des Droits des Femmes dans l’orientation et le soutien de toutes ces femmes : les instruments juridiques tels que la plainte ; l’ordonnance de protection ou le téléphone grand danger, permettent à ces femmes d’être reconnues en tant que victimes, mais aussi de faire valoir leurs droits.
Cependant, il faut souligner les difficultés à appliquer la politique pénale en la matière.
Si ces femmes, qui en majorité ne sont pas immigrées ou sont en situation régulière sont confrontées à l’incompréhension dans leur sphère privée comme publique, qu’en est-il des femmes sans papier et quel est, comme le dit Jorge Sedas l’impact sut leur vécu et santé au regard des difficultés à obtenir « des papiers » ? Cette contribution a rappelé que des circulaires ministérielles auraient pu permettre sous certains critères la régularisation des parents d’enfants scolarisés en France, Hélas…Restent le recours aux services sociaux mais, là encore la fragilité de certaines femmes et la « peur de se faire repérer » rendent difficile l’accès aux soins : hésitation à solliciter l’Aide Médicale d’Etat,
A cela s’ajoutent les problèmes de santé tant physique que psychologiques quand elles sont victimes des réseaux de prostitution et de proxénétisme. Certes elles seront « incitées » à dénoncer ces pratiques illicites pour pouvoir être régularisées conformément à la « loi du 9 juillet 2010 sur les violences conjugales. Celle-ci, en créant « l’ordonnance de protection » qui permet l’obtention de papiers lorsqu’elles dénoncent ces pratiques illégales ( circulaire du Ministère de l’Immigration (circulaire du 5 février 2009) » arrivent à être régularisées. Mais, elles ne basculent dans le statut régulier qu’au compte-gouttes c’est-à-dire, au bon vouloir des services de la Préfecture.
L’intervention a aussi sensibilisé sur la situation des femmes immigrées âgées, les chibaniates.
La dernière intervention de ce matin de Chantal Malenfant nous a permis de mieux cerner les problèmes vécus par des femmes indiennes dans leur pays et mettre en lumière leurs situations dans l’immigration. Peu nombreuses, ces femmes indiennes en France qui ne vivent plus cette hiérarchie et injustices vécues dans leur pays, sont néanmoins dans une situation psycho sociale: problèmes au moment de la grossesse et de l’accouchement car les rituels ne peuvent être accomplis totalement.
L’intervention a aussi donné un aperçu de la vie des femmes indiennes en Inde, les mariages arrangés, la question de la dote… malgré les lois, les traductions persistent. Tout ce vécu dans un pays où le rôle de la religion est très important. En France, ces femmes s’adaptent à la société du pays d’accueil tout en restant attachées à leur culture.
L’après-midi, l’intervention de Fabienne Diebol s’appuie sur des histoires de femme pour retracer ces parcours croisés du pays d’origine à l’installation en France.
Ce qui leur est commun est la solitude, la peur et les difficultés d’écoute institutionnelles. C’est aussi le ressenti d’être invisibles. Or cette visibilité est nécessaire pour la construction identitaire.
Un aperçu du réseau INTERMED, Région Rhône-Alpes/Auvergne a été largement présenté insistant sur la place du sujet dans la pratique de soins de cette organisme. Partenariat important avec les infirmières, la nécessité de rencontrer ces femmes…
Le réseau Intermed (Rhône-Alpes/Auvergne) Proposition de réponses face aux souffrances psychiques des femmes immigrées dans le cadre de notre pratique de soin relationnel tenant compte de la place pour une femme « en situation d’exil » dans la société contemporaine, dont les paradigmes sont en mouvement.
Sans oublier que ces paradigmes sont en mouvement dans les pays d’origine comme les pays d’accueil. Il y a souvent un décalage vécu par les immigrés avec les changements et évolutions dans le pays d’origine.
L’intervention de Manuelle Bornibus, chargée de mission à Migration Santé, a présenté de façon générale une double évolution de la situation des femmes migrantes. Elle nous éclaire sur les représentations en France sur ce terme « immigrée » dont on qualifie des français de 2 ou 3ème génération accentuant par là des problèmes identitaires, à l’origine non seulement de problèmes psychologiques mais aussi de comportements sociaux.
La persistance de ces représentation ont un effet handicapant sur des « primo arrivantes » qui subissent différentes violences (l’exploitation des jeunes femmes migrantes par les réseaux internet (propositions de mariage pour obtention de papiers, qui sont des réseaux d’esclavage domestique et sexuel) pendant leur parcours migratoire.
Cette intervention souligne aussi la situation des femmes « Roms » en particulier liée à la maternité confrontée à la précarité de leur vie. Par l’écoute et la rencontre, elles sortent de leur isolement et leur « invisibilité »
Ces personnes vivent souvent une destruction de leur identité profonde qui a un impact sur leur santé. Comment restaurer ces personnes dans leur identité. Les réponses seront trouvées ou cherchées par des structures souvent non gouvernementales comme Migration Santé qui tente de répondre à ce problème en évoquant les groupes de paroles de femmes. Ce qui ne peut que lever le voile sur cette question qui ne trouve pas encore de solution véritable.
Ces vies parfois brisées, ces peurs souvent intériorisées, ces injustices et des attitudes d’accueil souvent de rejet…ne peuvent que difficilement ne pas émouvoir bien des personnes et en particulier les acteurs de terrain qui sont confrontés à ces situations et souvent démunis.
Selon Sophia Mappa il serait nécessaire d’avoir une approche comparative des situations entre pays d’origine et Europe. L’exemple qui a été pris est celui de l’Afrique. La mise en perspective pour ne pas s’engouffrer dans l’émotionnel où nous porte cette « post modernité » où « les discours émotionnels sur la discrimination des femmes ont pris le pas sur une analyse rationnelle des situations prises en considération et du sens des mots utilisés. »
Dans son intervention, Sophia mappa considère que certaines notions (liberté, combat pour le droit, amour…) sont « spécifiques » à la culture européenne…
En conclusion
Suite à la dernière intervention, il est nécessaire certes, de tenir compte des discriminations subies par ces femmes dans leur pays en raison d’un système social structuré de manière hiérarchique, d’avoir une approche comparatiste et un regard moins affectif et plus réaliste. La comparaison avec la situation des femmes en Europe et leur combat rappelé dans cette contribution ne doit pas omettre aussi, de manière objective, le combat des femmes dans leur pays d’origine pour leur droit. A titre d’exemple, le combat que les femmes du Nigéria ont mené contre les mutilations sexuelles datent d’avant la connaissance par la France de ces mutilations.
Ces différentes contributions ont retracé des vécus de femmes qui doivent faire le deuil de leur pays, de leurs habitudes de vie, de leurs familles… Exilées, elles sont en rupture de leurs référentiels de vie. Certes pour certaines, elles vivent en France de manière plus libérée. Quand elles ne sont pas confrontées à un communautarisme étroit et rigide, soumises à leurs conjoints et familles et loin de leur entourage du pays. Mais, dans les deux cas, certaines vivent des souffrances liées à « la plus haute des solitudes » et aux représentations négatives de ce qu’elles sont. Combien de fois, n’avons-nous pas entendu face à un dépôt de plainte pour violences conjugales « mais, elles en ont l’habitude, chez elles »…
Une étude comparative permet une approche plus claire de la manière dont certaines femmes appréhendent leurs situations en France mais en aucun cas pourrait relativiser la notion de discrimination qui est basée sur les iniquités sociales. Se baser sur ce que l’on appelle communément « le relativisme culturel » ne tendrait-il pas à remettre en cause la notion même d’équité et d’égalité inscrit dans la constitution française ?
Il ne faut certes pas se focaliser sur la dimension émotionnelle des situations de précarité et de souffrance de certaines femmes immigrées, émotion qui « ne doit pas remplacer l’analyse » 1, il faut avoir une attitude rationnelle et réfléchir au niveau de l’État sur la nécessité d’y faire face car nous sommes tous concernés. Comme le disait Roger Fauroux suite à l’enquête qu’il avait dirigée sur l’intégration et les discriminations en septembre 2005 : « Nous avons tout à perdre quant à l’équilibre de notre société à laisser subsister ces iniquités sociales qui se doublent d’un gâchis économique. Les discriminations affectent durement non seulement les victimes mais la société elle-même.»
Elles sont l’une des causes de la radicalisation de certains.
Hayat Berrada Bousta,
Conseil et intervention sur les discriminations
et sur la communication interculturelle,
8 mars 2016
1 – « La stratégie de l’émotion » Anne-Cécile Robert dans le Monde Diplomatique – Février 2016.