A Limoges, le Mouvement des démocrates marocains organisait une rencontre Sur les femmes marocaines. C’était en 2000. Que dire en 2023 sur l’évolution de cette question et en particulier des combats que mènent les Mouvements des droits des femmes entre 2000 et 2023 au Maroc, et la révision de la Moudawana en 2002.
En introduction de cette intervention, je souhaiterai vous lire un « poème », à vous de l’interpréter comme vous le voulez…
» Coléreuse, rancunière, noire de coeur,
Susceptible, orgueilleuse, prétentieuse,
Grondeuse, grommeleuse, grimacière,
Querelleuse, irascible, faiseuse de moue,
Boudeuse, jalouse, menace-mari […]
Elle ne croit pas aux châtiments et ne se voile pas.
Quand on commande, elle n’obéit pas,
Quand on la met en garde, elle ne change pas,
Quand on la conseille, elle n’accepte pas… ».
C’est un extrait du Manuel de Français des élèves marocains de la classe de 9ème (CE2) et destiné à les familiariser avec l’accord des adjectifs qualificatifs. Il est intitulé « Les femmes de notre siècle ».
A méditer… Comment chacun l’interprète ? Ce serait intéressant de le savoir, lors du débat. En tout cas, il nous interpelle sur le regard de l’autre sur la femme.
Les problèmes et difficultés que rencontrent les femmes, où qu’elles soient, trouvent leur origine en grande partie, dans la problématique de la femme. La perception de la femme par l’autre est tributaire d’une idéologie basée sur le pouvoir masculin, pouvoir lié à toute une histoire où c’étaient les hommes qui allaient à la guerre laissant les femmes au domicile. La différence physique entre les hommes et les femmes et les tâches confiées à l’homme étant valorisées alors que celles confiées à la femme étaient dévalorisées. De cette différence physique et cette hiérarchie des valeurs cautionnée souvent par les femmes elles-mêmes, on a instauré une inégalité de droit contre laquelle les femmes en tout lieu et tout temps n’ont cessé et ne cessent de se battre, réussissant à arracher des acquis de plus en plus importants, mais la mentalité hégémonique masculine est toujours présente de même que l’acceptation de celle-ci par certaines femmes.
Il y a certes, nécessité de lutter pour la reconnaissance des droits de la femme, mais c’est au niveau de la structure culturelle et mentale que le plus gros travail doit être fait. Il doit se faire par et pour la société entière. Cependant, le rôle des militants politiques de gauche doit, dans ce domaine, montrer l’exemple. Même si beaucoup de militant(e)s reconnaissent politiquement et socialement l’égalité entre les sexes, ont-ils (elles) véritablement chassé les séquelles de l’éducation féodale ? Le problème se pose pour la femme comme pour l’homme. Est-ce que nous, les femmes, avons trouvé les moyens les plus convaincants pour imposer cette égalité dans les moeurs ? N’y a t’il pas eu dans l’histoire, de notre part, des réactions impulsives face à cette injustice flagrante qui nous a portées parfois à faire de l’anti-masculinité et à reproduire, dans un autre sens, l’inégalité femme-homme ?
Je vais peut-être choquer certaines personnes, mais je pense que pour les hommes, se débarrasser de toute une éducation patriarcale qui leur était favorable est une démarche difficile et continue sur eux-mêmes et à travers laquelle ils doivent se remettre en cause. Pourront-ils tenir le pari de s’en débarrasser ? Le voudront-ils ?Il est nécessaire pour la Démocratie qu’ils la mènent, et les efforts conjugués avec les femmes dans toutes les structures existantes contribueront à la faciliter. Mais, nous-mêmes, au niveau idéologique, n’avons-nous pas à nous remettre en cause dans certaines approches de la problématique de la Femme ?
La parité en politique, souvent avancée au nom de l’égalité n’y change rien. Non seulement parce qu’il s’agit de comportements individuels et collectifs mais car l’organisation de cette parité est , malgré certain côtés positifs, encore une fois en faveur de l’hégémonie masculine : combien de têtes de listes féminines ? En outre la parité dans l’Histoire doit être restaurée : mais, ne peut-on pas poser la question autrement : dans la conception des droits égalitaires et débarrassées de cette mentalité hégémonique, il y a des personnes qui ont les ambitions d’être au pouvoir, d’autres pas…Toute proposition en terme de parité ou de quota est certes un moyen pour faire avancer vers une conception égalitaire mais nullement une fin en soi ou une reconnaissance de cette égalité….
Mais il est certain que pour en arriver là, il faudra des combats et des batailles pour dénoncer les discriminations entre hommes et femmes qui, dans certains pays prennent des proportions quasi criminelles.
Pour ce qui est du Maroc, commençons par des chiffres :
Selon des statistiques du ministère de la justice, menée de juillet 1998 à décembre 1999 aux tribunaux de Casablanca, 48% des femmes violentées sont mariées. La tranche d’âge la plus touchée varie entre 20 et 29 ans.
D’après une étude de la ligue démocratique pour les droits de la femme, prés de 22 % de femmes marocaines sont mariées sans leur consentement alors que près de 8% l’ont été de force.
72% des femmes interrogées dans le cadre de l’enquête qui a porté sur un échantillon de 1510 femmes issues des milieux rural et urbain, n’ont posé aucune condition dans le contrat de mariage.
11,3 %d’entre elles ignoraient qu’il existe des conditions dans le contrat de mariage, 65 %n’ont pas assisté à l’établissement dudit contrat et 13,5 pour cent ont été mariées sans contrat.
Concernant le divorce, l’étude indique que 49,80 pour cent des marocaines ont été répudiées sans mot à dire alors que 50,20 pour cent ont obtenu le divorce par la justice, dont 25,8 pour cent pour sévices et 24,4 pour cent par compensation.
A propos de la polygamie, l’enquête révèle que 84,4 pour cent des femmes y sont hostiles tandis que 5,2 pour cent l’acceptent et font partie de celles qui vivent en polygamie (11,1 pour cent des femmes). En revanche, 10 pour cent des femmes acceptent la polygamie mais sous condition.
Par ailleurs, pour ce qui est de la pension alimentaire, l’enquête montre que 73,33 pour cent des femmes ayant obtenu le divorce sur décision judiciaire pour cause de sévices ont renoncé à leur droit et aux droits de leurs enfants à la pension.
L’étude souligne que sur prés de 87,6 pour cent des femmes répudiées ayant la garde des enfants, 32 pour cent font état de l’abandon des enfants par leurs ex maris.57,89 pour cent des femmes renoncent à la garde des enfants faute de moyens.
500 mères célibataires dont 210 ont pu bénéficier d’une prise en charge totale alors que 290 ont pu avoir accès à l’assistance administrative et juridique, des soins médicaux ou à une réorientation vers d’autres institutions. Une étude réalisée sur les cas de 300 mères célibataires vient d’être publiée par Insaf. Elle révèle que les enfants nés de relations sexuelles dans le cadre de prostitution ne constituent que 15% de cas alors que 10% relèvent d’abus, de viol et d’agression. Le reste des cas résulte de relations amoureuses hors du cadre du mariage. Les femmes célibataires victimes de cette situation sont analphabètes ou possèdent généralement un faible niveau d’instruction. Celles qui n’ont jamais été à l’école s’élèvent à 50,33%, celles qui ont été au primaire 18,33%, au premier cycle 16,67%, au deuxième cycle 6% et 0,67% pour le niveau universitaire.
On constate aussi que 31,33% de ces femmes sont des bonnes âgées de moins de 15 ans, des femmes de ménage (13,33%), des ouvrières (28,33%) et 17,67% de femmes sans emploi. Conséquence, il s’agit généralement de jeunes filles dont la situation est socialement et matériellement très précaire. Les problèmes de réinsertion socio-professionnelle sont très délicats, le traitement psychologique est une donne qui s’est avérée nécessaire dans la plupart des cas. Les mères célibataires recueillies ou accueillies par le centre sont généralement sous le choc et vivent des problèmes psychologiques qui exigent un suivi.
La situation des petites filles domestiques qui restait pendant longtemps sujet taboue, malgré sa gravité, vue leur âges parfois très précoce, et les conditions inhumaines dont elles travailles, et sans aucune protection légale ; ce qui constitue une inhibition à leur enfances et une privation de leur droits de vivre en famille, en plus des conséquences graves à l’âge adulte, telles que l’analphabétisme et la marginalisation ; ce qui constitue une violation à la convention internationale sur les droits de l’enfant ratifié par le Maroc en 1993.
Les femmes marocaines subissent les conséquences d’une politique basée sur le non droit et l’injustice : elles sont les plus touchées par la dégradation économique et ses répercussions éducatives et sociales. Ceci, principalement dans les régions rurales.
Malgré toutes ces pratiques au quotidien, les femmes marocaines n’ont jamais cessé de se battre pour leur dignité, malgré une loi archaïque relative au code civil et de la famille, la femme marocaine s’impose par tous les moyens dans son pays comme à l’étranger.
La « Moudawana » continue à enchaîner juridiquement la femme marocaine. Mais la réalité a largement dépassé ce carcan juridique. La femme continue à jouer son rôle économique et social défiant lois, injustices et inégalités. A la campagne, elle cumule travail au champ et tâches ménagères. Les coopératives féminines se multiplient en milieu rural couvrant divers domaines. Les citoyennes les plus défavorisées et potentiellement analphabétes prennent en main leur destin. A la ville, la femme assure son rôle d’épouse et de mère tout en exerçant son métier d’avocate, d’ingénieur, de commerçante ou d’ouvrière d’usine. Les femmes marginalisées par le chômage et la précarité investissent le secteur informel exerçant toutes sortes d’activités pour survivre et subvenir aux besoins vitaux de leurs familles. Le hiatus entre le juridique et la réalité ne peut subsister indéfiniment sans problème. (Droits Pluriels. Avril 1998)
Certes, les attaques ciblées contre le Plan d’Intégration pour la Femme au Développement, les difficultés à le mettre en place en sont des exemples.
Quelles sont les lignes directrices de ce code ? Et quelles sont les modifications proposées
Le code civil de la famille au Maroc est le plus archaïque de tout le monde arabe : tutelle du père et du mari, minoration des droits, répudiation, inégalité des droits face au divorce la procédure de séparation, le droit au domicile conjugal, la polygamie la garde des enfants et l’ obligation juridique « d’obéissance » au mari..…Malgré la révision de la « Moudawana » en 1993 les revendications incessantes de toutes les organisations féminines, le code civil marocain légalise l’infériorité de la femme marocaine, au mépris des règles élémentaires des droits des citoyens.,., d’autant que ces lois traversent les frontières et placent la femme marocaine immigrée dans des situations parfois dramatiques.
Le Maroc a signé en 1993, la Convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes qui dispose, dans son article 2, que : « Les Etats parties condamnent la discrimination à l’égard des femmes et conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à l’éliminer ». Mais, l’article 418 du Code pénal marocain prévoit que « le meurtre, les blessures et les coups sont excusables s’ils sont commis par l’époux sur son épouse ainsi que sur le complice à l’instant où il les surprend en flagrant délit d’adultère » l’article 496 punit d’un emprisonnement de deux à cinq ans quiconque « sciemment cache ou soustrait aux recherches une femme mariée qui se dérobe à l’autorité à laquelle elle est légalement soumise » ? D’autre part, si l’on reconnaît aux femmes majeures la capacité civiles, elles doivent, néanmoins, pour se porter partie civile contre leur mari (en cas de violences conjugales par exemple), obtenir l’autorisation du juge ? C’est ainsi que la jurisprudence pénale ne se soucie pas des atteintes aux droits les plus fondamentaux des femmes : d’après l’Association Démocratique des Femmes marocaine à Rabat, les poursuites en cas de viol sont particulièrement rares et les sanctions scandaleusement indulgentes. Les viols sont considérés par le Code pénal comme « Crimes et délits contre l’ordre des familles et la moralité publique »…mais pas comme une atteinte à l’intégrité et l’intégrité des femmes.
Mais, il n’y a malheureusement pas que dans ce code pénal que l’on retrouve de articles scandaleux. Ainsi, ce n’est qu’en 1995, que l’on a abrogé, dans le code des obligations, (dans son article 726) l’article selon lequel « la femme mariée ne peut engager ses services qu’avec l’autorisation de son mari ». le Code du statut personnel et le Code du travail comportent des discriminations d’un autre temps…
En 1998, au lendemain de l’alternance, les organisations féminines marocaines s’étaient mobilisées, toutes tendances confondues, pour organiser une grande marche le 8 mars, jour de la femme. Mais, celle-ci n’a pas eu lieu, sur la demande du premier ministre socialiste, alors fraîchement désigné, qui leur avait demandé de la différer en les assurant de son soutien…
Grâce à leur combat continu, les associations marocaines qui luttent pour les droits des femmes ont pu insuffler la mise au débat d’un Plan d’Intégration pour la Femme. Les associations relèvent les différentes formes de négligences qui ont été condamnés par les conventions des nations unies concernant l’interdiction de toutes formes de discrimination contre les femmes (1979).
Ce plan national pour l’intégration de la femme au processus de développement compte près de deux cents mesures visant à la promotion des droits de la femme marocaine. S’il enveloppe quatre «domaines prioritaires» :L’alphabétisation, éducation non formelle, scolarisation et éducation à l’égalité , la santé reproductive l’intégration des femmes au développement économique et le renforcement des pouvoirs des femmes
Celui-ci devait en principe être ratifié par l’ensemble du gouvernement en date du 19 mars 99, mais cela n’est toujours pas le cas.
Pour quoi autant de difficultés à sa réalisation ?
C’est, sur les dispositions du code civil que l’on se heurte. La réforme du code de statut personnel vise, entre autres, à élever l’âge du mariage des filles à 18 ans, rendre la tutelle matrimoniale facultative pour les filles majeures, remplacer la répudiation par le divorce judiciaire, accorder à la femme divorcée la moitié des biens acquis pendant la durée du mariage..
Comment aborder des problématiques liées au statut du code personnel en visant la révision du droit marocain que d’aucuns estiment sacré (car basé sur la « chari’a » loi musulmane). Mais, c’est aussi là et concrètement que cette question rejoint une problématique relevant, non de la spécificité féminine, mais la question de droit, de l’Etat de droit et de la séparation du politique et du religieux : à savoir la question de la laïcité.
Il est vrai que c’est un domaine très complexe où la religion et les conservatismes sociaux se confrontent, mais c’est aussi une urgence qui, au delà des droits des femmes, hypothèquent le développement de notre pays dans la voie du développement, du droit et de la démocratie..
Même si ce plan a pris en considération cette complexité et proposé des amendements minima permettant d’aller vers un statut plus juste des femmes marocaines, certains militants et responsables au sein des Mouvements intégristes n’ont pas hésité à malmener les militants qui défendent ce Plan. Ainsi, un prédicateur dans une mosquée marocaine, scandait que »Ceux qui appellent à l’adoption du plan ouvrent toutes grandes les portes de l’enfer ». Certains Imams ont dénoncé ce plan « scandaleux, licencieux et abject ». On est allé jusqu’à jeter « l’anathème » sur ceux qui soutiennent le plan.
La plupart récuse l’occidentalisation proposées par ce plan comme si la laïcisation était contraire à la croyance et au respect de la religion et que le progrès n’était que l’apanage des occidentaux.
Or, le développement, avec toutes ses ramifications et ses effets est universel. Ce sont les différents colonialismes occidentaux qui, pour défendre leurs positions, ont relativisé ces principes : au nom du relativisme culturel, au nom d’un principe colonial et dominateur selon lequel certains pays peuvent aller vers la démocratie et d’autre pas, pour des raisons culturels qu’ils ignorent le plus souvent, on veut laisser ces anciennes colonies dans le maintien de la dépendance avec l’accord, souvent, des régimes en place…
Quant à la laïcité, elle est le signe de la liberté individuelle et du respect de l’autre. C’est aussi, donner au spirituel sa place la plus haute, en dehors de toutes controverses politiques. Les convictions des uns comme des autres doivent être respectées et l’on doit donner tous les moyens nécessaires pour que chacun puisse concrétiser ses convictions dans le respect des convictions de l’autre. C’est là un principe fondamental que la religion nous a enseigné.
Cependant, malgré ces heurts et confrontations d’idées la question des droits des femmes est devenue, aujourd’hui, un véritable débat de société.
La famille marocaine a évolué. D’une famille patriarcale, elle est devenue une famille nucléaire ; de même que le mariage monogamique a pris le pas sur le mariage polygamique. La coopération inter-familiale s’est renforcée au détriment du noyau familial dépendant entièrement de l’époux. Le mariage fondé sur l’entraide et l’entente est en train de l’emporter sur les autres formes de mariage. Pourtant, la situation de la femme résultant du code du statut personnel et des coutumes n’a pas changé.
Aujourd’hui, elles revendiquent une adaptation de leur condition juridique, toutes matières confondues, aux principes généraux des droits de l’Homme. Elles le font à travers leurs associations, de plus en plus nombreuses, et leurs écrits, de plus en plus engagés.
Si les femmes au Maroc sont confrontées à ces lois dichotomiques et discriminatoires, les femmes marocaines, en France, n’y échappent pas.
Il faut noter qu’auparavant, la femme immigrée était absente des débats sur l’immigration. Depuis 1974, avec les mesures politiques sur le regroupement familial, elle devient incontournable. D’autre part, la montée de l’intégrisme musulman en France et ses excès, aura eu pour effet, paradoxalement, d’attirer l’attention vers elle, sur sa situation tant en France que dans son pays d’origine. Mais, même si elle n’est plus ignorée, les difficultés qu’elle rencontre sont loin de s’atténuer : ce sont celles que connaissent toutes les familles immigrées santé – logement – scolarité des enfants – formation – emploi… En France, la politique de l’immigration et les pratiques qui en découlent sont scandaleuses : rejet, xénophobie, inégalité de fait, « chasse aux faciès » en contradiction flagrante avec les Droits de l’Homme et du citoyen. On tente de masquer les véritables responsables de la crise socio-économique en faisant des amalgames archaïques et en tentant de faire supporter les raisons et les effets de la crise sur l’immigration. C’est dans ce climat que se situent certaines inégalités flagrantes par rapport à la femme, en particulier à travers les conventions bilatérales.
En effet, toutes les conventions bilatérales avec la France obéissent à une règle de réciprocité : la règle du Code Civil français et la Constitution française stipulent que la loi française s’applique à tous les français où qu’ils soient ; réciproquement, les lois des pays d’origine s’appliquent aux ressortissants de ces pays même quand ils résident en France pour ce qui concerne leur statut personnel. Qu’arrive-t-il, dès lors, lorsque la loi nationale est contraire, sinon différente de la loi française ? Principalement dans les situations touchant le statut personnel de la femme : la polygamie – la répudiation qui sont contraires à l’ordre public français ?
- la femme rejoignante est tributaire du séjour de son mari. S’ il y a divorce, celle-ci peut se retrouver en situation irrégulière. Les jeunes filles de moins de 18 ans, nées en France, même en ayant acquis la nationalité française, restent sous l’autorité du père : pendant les vacances au Maroc, il peut les marier et leur interdire de retourner en France…( mariages forcées)
- La répudiation est, par essence, soumise à l’arbitraire du conjoint : elle semble donc incompatible avec l’ordre public français.
Or, malgré cet aspect, elle est reconnue en France. La Convention franco-marocaine signée le 10/08/81, mise en application en 1983 en France et seulement en 1990 au Maroc stipule la coopération judiciaire entre les deux pays sur le plan du statut personnel.
Une répudiation faite en France serait sans effet mais si le mari retourne dans son pays pour y effectuer la répudiation, elle produira ses effets en France : le juge ne fera que constater l’annulation du mariage.
La femme ne peut recourir ni aux règles de droit français, ni aux Conventions Internationales anti-discriminatoires. Elle se retrouve quand elle est répudiée sans ressource et dans une situation dramatique en France.
Cette convention franco-marocaine ,la plus archaïque, a des effets néfastes à long terme sur une véritable intégration et insertion.
Au-delà de la répudiation, ce sont ses effets qui sont scandaleux pour la femme comme pour les enfants qui restent souvent sans droit ( pas de pension, arbitraire du séjour…).
La femme marocaine où qu’elle soit, se trouve emprisonnée dans des lois injustes qui s’expliquent par la persistance de l’ Etat de non – droit au Maroc.
Au delà de cet aspect juridique et face aux obstacles communs à l’immigration, certaines femmes affrontent d’autres difficultés, alors que, comme on l’a dit plus haut, son statut personnel la met souvent dans une situation précaire. Des difficultés liées à leur isolement de la famille.
Parallèlement à ces situations difficiles, on peut noter une réelle évolution dans le comportement des femmes :
- En ce qui concerne l’accès à la formation et à l’emploi, on peut remarquer une nette évolution dans la démarche des femmes, conscientes qu’elles doivent se prendre en charge en raison de l’incertitude de l’emploi du conjoint : déjà, les statistiques datant de 1992 sur l’évolution de la population active étrangère, sont assez significatives au sujet de la femme : les demandeuses d’emploi avaient augmentées de 133%.
Si l’on dénote peu de variations de la population active étrangère de 82 à 90, on remarque, en revanche qu’elle connaît des fluctuations internes essentiellement dues à la croissance de la population étrangère féminine.
Mais, si le nombre de femmes demandeuses d’emploi augmente de plus en plus, celles-ci rencontrent de grandes difficultés en terme d’emploi et d’accès à la formation :
- Certaines jouent un rôle très actif dans le Mouvement associatif pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie de leurs compatriotes et à des actions d’insertion des populations étrangères ; certes, ce sont souvent des femmes ayant suivi des études universitaires. Mais, dans la deuxième génération, même parmi des jeunes en échec scolaire, les jeunes filles participent à des actions associatives permettant une meilleure connaissance des situations que vivent les femmes immigrées. Le développement des associations de femmes étrangères, l’implication de toutes ces femmes, de manière bénévole ont largement contribué à faire connaître les difficultés que traversent les femmes étrangères et ont fait évoluer les comportements mixtes.
Même s’il y a développement socio-économique dans un pays, même si l’on est, actuellement, dans une ère de développement (et même de révolution) technologique important, n’oublions pas que les mentalités et les habitudes culturelles ne se développent pas au même rythme.
L’évolution du statut professionnel de la femme est plus rapide que celle des mentalités. L’idéologie dominante féodale ou bourgeoise fait sournoisement plus de dégâts peut-être que la politique socio-économique entretenue. Elle s’enracine dans les comportements de chacun. Il n’est pas facile de se débarrasser des séquelles d’une éducation patriarcale ou bourgeoise, une éducation qui, pendant des siècles a instauré la domination idéologie de classes certes, mais aussi la domination masculine. Les luttes déterminées que mènent les femmes et les hommes pour des acquis de justice sont des moyens réels pour se débarrasser des séquelles du passé.
L’évolution sociale et économique y contribue aussi lorsqu’elle revêt le caractère d’un développement véritable mais non de façade. D’une manière ou d’une autre, toute évolution, tout acquis ne peut que contribuer à changer les relations entre les hommes et les femmes.
Cependant, il ne s’agit pas seulement de prôner des choix politiques et idéologiques justes (et parfois avant-gardistes) sans adapter l’homme à ces choix ; la véritable démocratie et l’égalité ne peuvent se construire solidement en maintenant les structures mentales du passé. Les militants démocrates doivent, dans ce domaine, montrer l’exemple c’est leur rôle. Même si beaucoup d’entre eux reconnaissent politiquement et socialement l’égalité entre les sexes, ont-ils (elles) véritablement chassé les séquelles de l’éducation féodale ?
S’en désaliéner nécessite de notre part, femmes et hommes un combat permanent non seulement contre toutes les inégalités mais aussi sur nous-mêmes. Ce sont les batailles que tout vrai démocrate doit mener conjointement. C’est un combat quotidien au-delà du combat politique pour une justice sociale.
L’égalité de Droit entre l’homme et la femme, la reconnaissance idéologique et sociale de cette égalité par tous (hommes et femmes) dans le respect de la différence naturelle entre les deux sexes, différence qui n’implique pas une domination de l’une sur l’autre et vice-versa est un combat qui s’inscrit dans celui que toute personne, éprise de justice, d’égalité et de paix doit mener.
Encore une fois, il ne s’agit pas de soutenir un choix politique et idéologique juste sans adapter l’homme à ce choix ; la Démocratie ne peut pas se décréter et se construire en maintenant les structures mentales du passé.
Le changement de ces structures est l’oeuvre des femmes comme des hommes, il est l’oeuvre du citoyen, jaloux d’un avenir de justice, d’égalité et de paix. Il faut mettre en commun toutes les synergies possibles, quelles que soient les appartenances politiques des uns ou des autres pour faire avancer non seulement la justice sociale et politique mais aussi nos propres comportements pour que notre jeunesse actuelle et à venir évolue dans un Maroc libre, indépendant et démocratique.
L’existence d’une élite féminine professionnelle ne contribue pas nécessairement de manière automatique à se débarrasser d’une idéologie patriarcale : on ne peut pas changer les mentalités comme on change de poste de travail. L’inégalité entre les sexes persiste même dans les pays « industrialisés », « démocratiques », « développés ». En France, par exemple, si en Droit on peut affirmer que la Femme est égale à l’Homme, cela ne se traduit pas dans les faits et particulièrement au niveau de la formation et de l’emploi.
Il y a certes, nécessité de lutter pour la reconnaissance des droits de la femme, mais c’est au niveau de la structure culturelle et mentale que le plus gros travail doit être fait. Il doit se faire par et pour la société entière. Cependant, le rôle des militants politiques de gauche doit, dans ce domaine, montrer l’exemple. Même si beaucoup de militant(e)s reconnaissent politiquement et socialement l’égalité entre les sexes, ont-ils (elles) véritablement chassé les séquelles de l’éducation féodale ? Le problème se pose pour la femme comme pour l’homme. Est-ce que nous, les femmes, avons trouvé les moyens les plus convaincants pour imposer cette égalité dans les moeurs ? N’y a t’il pas eu dans l’histoire, de notre part, des réactions impulsives face à cette injustice flagrante qui nous a portées parfois à faire de l’anti-masculinité et à reproduire, dans un autre sens, l’inégalité femme-homme ?
Je vais peut-être choquer certaines personnes, mais je pense que pour les hommes, se débarrasser de toute une éducation patriarcale qui leur était favorable est une démarche difficile et continue sur eux-mêmes et à travers laquelle ils doivent se remettre en cause. Il est nécessaire pour la Démocratie qu’ils la mènent, et les efforts conjugués avec les femmes dans toutes les structures existantes contribueront à la faciliter. Mais, nous-mêmes, au niveau idéologique, n’avons-nous pas à nous remettre en cause dans certaines approches de la problématique de la Femme ?
Pour intéresser toutes les couches sociales à un combat pour l’Egalité entre les hommes et les femmes, il faudrait trouver des formes de travail, d’ouverture qui répondent aux attentes des gens, indépendamment de leurs convictions politiques. Pour que des Mouvements travaillent comme associations de masse, il est nécessaire de prendre en compte une certaine autonomie. Ces associations n’ont-elles pas souvent travaillé dans « l’ombre » des Partis politiques?
Rassembler toutes les volontés et les sensibilités oeuvrant pour les Droits Humains en général car c’est dans ce cadre que se pose la problématique de la Femme. Donner au Mouvement de la femme toute sa dimension associative indépendamment des Partis politiques et dans le respect des convictions de chacun.
Je voudrai souligner ici, la détermination de toutes celles qui, au prix de sacrifices personnels ( les résistantes contre le colonialisme au Maroc, comme ITTO Zayaniya, les détenues politiques marocaines comme Saïda Mnebhi, morte en détention, Mme Rhita Ben Barka, restée en exil plus de 35 ans et qui refusait de rentrer dans son pays sous Hassan II, toutes ces exilées marocaines…) elles ont participé à la libération de nos pays et contribuent à la lutte pour la Démocratie. Elles y contribuent souvent, sans faire de bruit sur leurs actions : martyres de la lutte contre le colonialisme, contre la répression, aux premiers rangs de grandes manifestations que ce soit pour l’avenir de leurs enfants ou pour la Démocratie dans leurs pays ; que ce soit pour faire barrière à la xénophobie, ici en France, en menant des actions pour l’éradication du racisme. Elles ont été là, elles sont là pour une la liberté, la Démocratie et la dignité de tous.
Rendons hommage aux mères des disparus qui restent vigilantes pour que toute la vérité et que toute la justice soit faite sur la disparition de leurs proches.
Saluons, en ce mois de Mars, les femmes palestiniennes, toutes ces résistantes qui combattent, parfois au sacrifice de leur vie, l’injustice, l’intolérable et qui restent debout face aux forces de la répression et de la haine. Elles sont un exemple comme l’ont été et le seront toutes ces femmes combattantes pour l’indépendance de nos pays. Elles sont un exemple qui nous assure dans cette conviction : il n’y a pas d’égalité, ni de justice sans le combat de tous, dans tous les domaines, il n’y a pas de développement et de Démocratie sans la participation de tous. Toute injustice, toute atteinte aux droits humains, où que nous soyons, nous concerne tous.
Hayat Berrada Bousta
Mars 2000