Divers éclairages sur les perspectives au Maghreb – 2011

Le 19 avril 2011 « l’espace Cosmopolis – A la rencontre des cultures du Monde » avait organisé, pendant ce que l’on qualifiait de « printemps arabe« , une rencontre sur la situation politique au Maghreb. Ce qui se fait et se fera dans l’avenir d’un Maghreb des peuples.

Plus d’un demi-siècle après les indépendances, un vent de liberté souffle sur ces pays depuis la fin de 2010. Ce vent de liberté s’est amplifié en 2011 pour toucher les pays du Maghreb et du Machrek.

Certes dans ces pays, les soulèvements ont eu lieu depuis leurs indépendances. C’est le cas au Maroc qui a connu en particulier en 1965, l’un des plus importants bains de sang dans la ville de Casablanca où avait eu lieu une manifestation immense, à la tête de laquelle les femmes ont joué un rôle important. Ce 23 mars a fait plusieurs morts dont un certain nombre de femmes dont le crime était de croire en la possibilité pour leurs enfants de sortir de l’illettrisme et qui avaient l’espoir que l’éducation contribuerait à aider leurs enfants dans la vie et qui avaient tout sacrifié pour ceci.

On avait touché à leurs enfants….

En réponse à cette colère, Hassan II, une semaine après ces évènements, dira lors de son allocution le 30 Mars 1965 «  Il n’y a pas de danger plus grave pour l’Etat que celui de soi-disant intellectuels. Il vaudrait mieux que vous soyez illettrés. »

1965, 1981, 1984, 1992, 2007, 2008 … ont été au Maroc des cris du peuple suivis de répression sanglante : des fosses communes existent dans plusieurs villes et en particulier à Casablanca où ont été jetés des cadavres d’enfants, de femmes et d’hommes…

Cette Mémoire, nous n’avons pas le temps de l’exposer aujourd’hui, mais cette Mémoire ne doit pas être mise aux oubliettes car elle est la continuité dans la résistance, comme me l’ont rappelé les slogans entamés à Casablanca ce 20 mars 2011 : «  Où sont donc les luttes passées, elles ne font que se développer »…

Ce qui est incontestablement extraordinaire cette année 2011, c’est cette flamme olympique que nos amis tunisiens n’ont pas laissé tomber et qui passe de pays en pays et, au niveau international, place la dignité de ces peuples au premier plan.

Ces mouvements ont basculé les aprioris et les stéréotypes qui consistaient à clamer que la recherche de la démocratie était propre à l’Occident. Les détenteurs des pouvoirs n’ont jamais posé la question de la démocratie et des Droits humains dans leur caractère universel. Ils ont donné une priorité au relativisme culturel…

Bien que des nuances soient à apporter selon les spécificités de tel ou tel pays, le constat est le même : c’est l’échec cuisant des gouvernements post indépendances. Des générations entières en ont fait les frais et leurs jeunesses de plusieurs pays clament ensemble aujourd’hui avec force et détermination : CA SUFFIT ! Elles revendiquent leur droit inaliénable à la citoyenneté pleine et entière, à la dignité, la liberté, l’égalité et la démocratie, mais aussi, et c’est essentiel, à la séparation du religieux et du politique.

Au Maroc, la jeunesse a repris le flambeau d’un combat pour le doit et la justice.

Le 20 février des manifestations pacifiques ont été réprimées. Ce qui n’a pas démobilisé toute cette population à descendre dans la rue tous les dimanches et à appeler à des rassemblements et défilés nationaux tous les mois.

Si ce 17 avril, des villes ont connu des manifestations parfois réprimées comme à Salé, c’est ce dimanche 24 avril qu’auront lieu des manifestations au niveau national comme celles que le Maroc a connues le 20 mars dans plus de 60 villes du pays.

Comment se fait-il, me dira t-on, après les promesses de modifications constitutionnelles que le roi a faites le 9 mars, que les jeunes persistent dans leurs revendications et leurs manifestations ?

Tout simplement parce que le discours n’a pas répondu à leurs attentes, à leurs exigences d’une monarchie parlementaire, de la séparation des pouvoirs, en particulier politique et religieux renonçant aux articles 19 et 23 qui implique la sacralisation du roi. Ce discours s’est au contraire inscrit dans le cadre de « la sacralité de nos constantes » et « à partir de ces prémisses référentielles immuables ». Ce discours n’a pas répondu aux exigences d’assainissement des affaires économiques et des enrichissements effrontés et le pillage de notre patrimoine national.

Les jeunes de tous les partis confondus, qu’ils soient ou non dans le gouvernement, des jeunes sans appartenance politique quelles que soient leurs convictions, étaient là pour exprimer au delà de conditions sociales et économiques, la nécessité d’un Etat de droit, la condamnation des discours prometteurs démagogiques et la reconnaissance de leur citoyenneté véritable.

Comme le disait Benbarka en 1962 «  La démocratisation de la vie publique signifie la recherche des détenteurs véritables du pouvoir politique, pour les plier à la volonté populaire, et non à l’organisation hâtive d’élections nouvelles qui, dans les circonstances présentes, laisseraient le pouvoir à ceux qui le détiennent, derrière le décor d’un jeu parlementaire factice ».

Résister pour imposer ces exigences, c’est exiger que la page de la citoyenneté véritable soit reconnue, que le peuple puisse avoir droit de regard sur sa destinée, c’est aussi un combat contre la corruption érigée en système et qui gangrène notre pays, c’est vouloir une indépendance véritable des lobbys internationaux qui font du Maroc le chien de garde de l’ultra libéralisme.

La crainte de voir basculer le système marocain qui privilégie les investissements étrangers est telle que les médias français ont eu pour consigne de ne pas en parler. Au contraire, alors que les voix de changements véritables s’intensifient, France 2 dans le cadre de ses 5 dernières minutes, a diffusé un programme sur les émigrations de français retraités vers ce beau ciel d’Agadir, au sud du Maroc. Rien sur la répression qui s’est abattue sur les manifestants à Agadir le 20 février. Rien sur les mouvements de contestation pour la liberté et la dignité dans toutes les villes marocaines…Rien sur ces jeunes qui veulent préserver leur patrimoine national.

Nous sommes aujourd’hui dans une phase de revendications de la dignité et la liberté, une phase de résistance et comme le dit Stéphane Hessel «  le motif de la résistance c’est l’indignation ».

Quelles sont les perspectives de ces mouvements ? Il est encore trop tôt pour dire les résultats de ces combats.

Ceux qui brandissent l’épouvante islamiste cachent les véritables problèmes : dominée par des relations de type néo-colonial, l’économie marocaine souffre de la désarticula­tion de ses principaux secteurs d’activité. Les liens qui unissent ces derniers avec l’étranger sont bien plus solides que ceux qui existent entre eux sur le marché intérieur. C’est le cas des sec­teurs organisés, équipés, modernisés et destinés à l’exportation tels l’agriculture (agrumes, toma­tes, primeurs, roses, marinas…) le textile, le cuir, la pro­duction minière…C’est le cas de LYDEC, de Maroc Télécom…

Mais au-delà de cela, la réalité la plus mar­quante reste celle de la juxtaposition des deux mondes: celui de la pauvreté absolue et celui de la richesse et du luxe étalés au grand jour, illus­tration flagrante d’une pyramide de redistribution des richesses extrêmement pointue, et qui aujourd’hui implose.

Les conditions subjectives comme objectives de cette implosion étaient là.

Dans le cas du Maroc, la fracture sociale plus importante qu’en Tunisie constitue un terrain favorable à la montée de l’intégrisme. En l’absence de l’Etat de droit, une minorité s’est emparée par la coercition et l’arbitraire de l’ensemble des potentialités du pays pour servir ses propres intérêts.

Aussi, pour que le pays ne soit pas aux mains de mouvements intégristes et islamistes, antinomiques avec l’Islam, il faut imposer un Etat de droit et la justice sociale. Il est urgent que le peuple ait la liberté de promouvoir sa citoyenneté.

Et , les intégrismes religieux, ethniques et politiques ne naissent pas du néant. Ils fleurissent à l’ombre des autocraties et de l’absolutisme. Cautionner les autocraties et les privilèges impunis pour ceux qui détiennent le pouvoir, c’est aussi cautionner les intégrismes.

C’est ce que font certains pouvoirs en Occident. Ils fustigent les intégrismes d’Iran mais saluent le roi d’Arabie Saoudite dont le système est des plus dégradants pour les femmes.

Ils déploient le tapis rouge aux dictateurs au moment même où leurs peuples s’insurgent contre des politiques de servitude et de non droit..

L’Etat français n’avait-il pas invité à l’anniversaire de la révolution française, en juillet 1999, Hassan II, roi soleil ?

Je ne parlerai pas des congratulations dernières et actuelles où certains n’ont même pas la décence de se taire comme ce fut le cas en Tunisie.

Au Maroc, je ne parlerai pas de Ramayade qui appuie le statut « de commandeur des croyants » du roi du Maroc, mais surtout la caution que Mr Alain Juppé apporte au discours royal alors que les manifestations s’amplifient et dénoncent la démagogie du discours, alors qu’au lendemain de celui-ci, le 13 mars, les manifestants étaient réprimés et arrêtés…

Quant à l’adjoint à l’Ambassadeur de France à Rabat, il est allé un peu plus loin. Il organise le vendredi 18 mars une rencontre avec un groupe de jeunes issus de partis politiques marocains pour les mettre ouvertement en garde contre ce qu’il appelle « la manipulation des islamistes et l’extrême gauche » et les dissuader de continuer à manifester dans le cadre du mouvement du 20 février.

Les comités de soutien et de suivi du mouvement du 20 février qui se sont créés partout dans le monde et en particulier en France, de Paris à Montpellier et de Strasbourg à Nantes ont manifesté contre cette ingérence en précisant bien que le 30 mars 1912 et son traité de protectorat étaient révolus.

Chers amis,

Comme je vous le disais, il est encore trop tôt pour dire les perspectives mais il est revenu le temps de la résistance pour que les peuples recouvrent leur dignité. Les jeunes du 20 février au Maroc dont certains diplômés chômeurs sont dans cette phase et de manière pacifique manifestent leur désapprobation d’un système où le non droit a force de loi, un système qui a broyé tant de jeunes et qui obstruent leur avenir. Un système qui ouvre la porte à de nouvelles dépendances permettant l’enrichissement éhonté d’une minorité au pouvoir.

Ils ont réussi à ébranlé les certitudes du pouvoir. C’est grâce à leur ténacité que des acquis ont été emportés. Et, ce sont les solidarités nationale et internationale qui sont garantes de la liberté des peuples.

Hayat Berrada Bousta
19 avril 2011