La Maison des Citoyens du Monde à Nantes avait organisé une rencontre sous le titre « les réflexions sur les révolutions en cours » près d’un an après les contestations importantes qu’a connues la Tunisie en décembre 2010. « La révolution de la dignité » selon les termes des Tunisiens.
Il y a près d’un an que le monde a été surpris et sensibilisé par l’émergence dans des régions où l’on ne s’y attendait pas, de mouvements populaires sociétaux qui réclamaient le départ de leurs gouvernants, la reconnaissance de la dignité et la citoyenneté de chacun ainsi qu’un changement profond des systèmes en place.
Du Machrek au Maghreb, ces revendications se sont succédé et continuent à se développer.
Le dénominateur commun à tous ces pays
- Dans tous ces pays, nous sommes face à des régimes autoritaires et corrompus. Que ce soient des républiques ou des monarchies, la corruption est érigée en système. Ces systèmes perdurent grâce aux complicités des pays occidentaux Les cas de la Tunisie et de l’Egypte ont été clairement rapportés mais dans les autres pays comme le Maroc ou l’Arabie Saoudite, cette collaboration avec les autocraties perdurent.
- Utilisation par ces systèmes de la violence sous toutes ses formes.
- L’impact de l’Islam comme religion d’Etat avec ses traductions différentiées. L’affiliation religieuse maintient les femmes dans une situation de non égalité des droits en particulier sur les droits à l’héritage.
- Dans une grande majorité de ces pays, ces combats étaient menés depuis des années. (2006 en Egypte, 2008 à Redeyef en Tunisie, depuis 1961 sous la monarchie de Hassan II et en 2008 à Ifni…
Mais, on peut dire que c’est depuis la fin 2010 en Tunisie que la torche olympique passe de pays à un autre. L’outil informatique d’une part mais aussi ELJazira ont joué un rôle de mobilisation et d’information plus large.
Dire que ce sont des révolutions achevées, c’est ne pas prendre en considération le temps que doit prendre la déconstruction de longues années de servitude.
Le combat ne s’est pas terminé en éliminant juste Ben Ali et Moubarak ou Kaddafi. Il ne fait que commencer avec des craintes pour ces avenirs de démocratie d’autant que les oligarchies occidentales ne voudront pas toucher à l’essentiel à savoir le maintien leur domination sur le pétrole du Moyen-Orient, sur les matières premières et sur les économies en général et craignent que l’Afrique ne se libère.
Mais, au-delà des personnes ce sont des systèmes longtemps verrouillés.
C’est la raison pour laquelle la vigilance de ces population que l’on disait aliénées au « maktoub » et qui ont montré leur capacité à défendre leur dignité et clarifier ce qu’est une véritable démocratie, cette vigilance ne doit pas baisser parce que Ben Ali ou Moubarak ou Kaddafi sont partis.
Certes, en Egypte comme en Tunisie elles ont dépassé la peur et, cela, est un acquis. Ces peuples ont montré à la face du monde que la démocratie et le droit sont loin d’être une spécificité occidentale. Elles ont aussi mise à nue la soi-disant démocratie occidentale.
Qu’en est-il au Maroc?
Le Mouvement du 20 Février n’est pas arrivé comme par miracle. Bien des luttes existaient au niveau local dans de nombreuses villes. Des mouvements spontanés, des luttes dispersées mais bien réelles: les chômeurs diplômés qui ont fondé l’association nationale des diplômés chômeurs (ANDCM), les étudiants qui, au sein de l’UNEM (Union Nationale des Étudiants Marocains), ont mené des mouvements de contestations dans plusieurs universités du pays (Fès, Casablanca, Oujda, Rabat) ou celle de Bouarfa contre la vie chère. Cela fait plus de 3 ans que les habitants boycottent les compagnies de gaz et électricité qui pratiquent des prix exorbitants. Ils refusent tout simplement de les payer.
Mais, depuis le 20 janvier 2011, des jeunes ont su mobiliser, en utilisant les réseaux, plusieurs villes et villages qui sont descendus dans la rue le 20 février 2011.Ces défilés et manifestations dans tout le Maroc ont montré en mars leur caractère pacifique, leur capacité d’organisation et de maintien de l’ordre et ont réussi au début à contrecarrer toute velléité de provocations.
Ont-ils été entendus?
Pour ne pas reprendre les débuts des promesses royales qui n’ont de promesses que le nom et qui bafouent les volontés des populations, on partira du discours de juin avant le vote référendaire pour une nouvelle constitution : le pouvoir n’a fait que renforcer ses attributions en insérant certaines réformes (régionalisation, langue amazigh..) qui ne remettent pas en cause le système antérieur de non droit:
D’une part sur les attributions du Roi en tant que Amir El Mouminine, « président du Conseil Supérieur des Ouléma, lequel a été érigé en institution constitutionnelle. » ; Conseil des Oulémas qui « siège désormais au Conseil de Régence »
D’autre part il « définit le statut du roi en tant que Chef de l’Etat », et donc ayant le droit de siéger au conseil des ministres.
Un chef d’état non élu, ayant des pouvoirs héréditaires et roi citoyen ?!! Cette nouvelle constitution marocaine qui serait selon le discours de Mohamed VI « une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale. » n’est-elle pas encore une fois, comme l’écrivait R.Coulon suite aux réformes de 1996, le « summum de l’ingénierie constitutionnelle ».
Une monarchie constitutionnelle ou une constitution pour pérenniser une monarchie
La nouvelle constitution inscrit « une disposition stipulant l’inviolabilité de la personne du Roi et le respect qui Lui est dû en tant que Roi, Amir Al Mouminine et Chef de l’Etat (….) étant entendu que la nomination à des postes militaires demeure de la compétence exclusive et régalienne du Roi, Chef Suprême, Chef d’Etat-major Général des Forces Armées Royales. »
L’indépendance de la justice? « (…) le projet prévoit la création du « Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, qu’il érige en institution constitutionnelle présidée par le Roi. »
Qu’en est-il de la séparation des pouvoirs politique et religieux, l’une des revendications populaires dans la logique de la reconnaissance des droits et de l’expression des libertés? La liberté de culte dont il est question signifie t’elle la liberté d’un marocain d’éducation musulmane de ne pas suivre les préceptes de l’Islam dans l’espace public?
Quant à l’égalité de droit de la femme et de l’homme, elle est conditionnée par les « lois inspirées de la religion musulmane.», et donc confirme, entre autres, l’inégalité devant l’héritage.
En définitive, ce projet de réforme, enseigne brandie à l’opinion internationale pour la rassurer des fruits de ses investissements, a utilisé des formulations pour tromper et conserver l’essentiel: un pouvoir absolu réaménagé.
Ils étaient des milliers dans les rues de plusieurs villes ce dimanche 19 juin 2011.
Ce projet de réforme constitutionnelle n’a pas convaincu et c’est par milliers que les marocains sont descendus dans la rue pour le lui dire et appeler au boycott du vote référendaire.
Les résultats du vote référendaire sont sans commentaire : plus de 98% de oui et plus de 75% de participation. Sourde aux cris du peuple, l’oligarchie gouvernante a campé sur ses pratiques ancestrales ( fraudes et achats de voix) en tentant de réaménager un système anti démocratique tout en gardant l’essentiel pour montrer à l’opinion internationale que le système de gouvernance au Maroc change pour se placer dans la lignée des autres démocraties.
Peu lui importe le peuple, peu lui importe que toutes ses composantes s’interrogent, peu lui importe de répondre à des revendications légitimes, non, il faut permettre aux investisseurs étrangers de spolier notre patrimoine et permettre à cette oligarchie un enrichissement frauduleux et éhonté.
A partir de ce moment, va s’accélérer le processus de violence policière sous toutes ses formes : baltajias et matraquage – 12 morts, plusieurs arrestations arbitraires manipulations au sein des rassemblements – Instrumentalisation de l’islamisme, du gauchisme…
C’est dans ce climat que se dérouleraient les élections législatives.
Les partis de gauche non gouvernementaux (PADS, PSU…) ainsi que le mouvement du 20 février ont appelé au boycott et à une révision générale et radicale de la constitution par une assemblée élue qui remplit sa mission après une conférence nationale et après de larges consultations entre les forces démocratiques et militantes.
Hayat Berrada Bousta
Novembre 2011