» A quel moment a-t-on commencé à comprendre en Israël que ce pays devenu Etat constitué (…), était devenu pour les non juifs, sous sa domination, un monstre. » écrivait l’historien du fascisme, Zeev Sternhell.
Les atrocités quasi impunies d’Israël, les déclarations « hystériques » de certains membres de son gouvernement aujourd’hui, n’en tracent-ils pas la voie.
Que retiendra-t-on face à ce qui s’annoncerait comme un génocide? On retiendra que la Résistance Palestinienne a déjà gagné la bataille de l’Histoire : malgré les crimes, les bombardements, elle ne baisse pas les bras. Son endurance, sa dignité, nul ne pourra jamais les bafouer. Elle a pu et su grouper autour d’elle les populations au niveau mondial et imprégner encore plus le monde de cette résistance contre le mépris, l’injustice et l’oubli.
Cette Résistance, debout, face à ces pays en Occident comme en Orient qui se sont tus, qui ont encouragé ces crimes alors qu’ils le savaient.
Cette Résistance, debout, face au pouvoir monarchique au Maroc qui troque leur pays, la Palestine, contre la marocanité du Sahara occidental et laisse se perpétuer ces crimes.
Brièvement, quelle fut la position du pouvoir monarchique depuis l’indépendance sur cette région du Sahara occidental ? Sur la libération de ces territoires de la colonisation espagnole ?
Après « l’indépendance » en 1956 et le retour d’exil du roi Mohamed V, l’Armée de Libération Nationale (ALN) poursuivait son combat dans le Sud de 1958 à 1960 pour libérer le Sahara occidental colonisé par l’Espagne. Elle avait aussi pour objectif de soutenir la révolution algérienne, dans la perspective de la libération de l’ensemble du Maghreb conformément à l’accord signé par les directions des trois mouvements de libération (Maroc, Algérie, Tunisie). Les masses populaires dans le Sahara occidental ont répondu avec enthousiasme à l’initiative de l’ALN et ont mobilisé toutes leurs potentialités pour rejoindre ses rangs.
En 1958, lors de l’« opération Ecouvillon » menée par l’armée française et avec « l’accord » tacite du pouvoir marocain[1], l’objectif était, comme l’écrivait Elsa Assidon en 1978 dans le Monde Diplomatique, de «refouler vers le Nord les « irréguliers » marocains de l’Armée de libération nationale (ALN) qui, grâce au soutien de plusieurs tribus locales, harcelaient la garnison espagnole ».
Au moment même où l’A.L.N. remportait des victoires importantes, la monarchie marocaine par la voie du prince héritier Moulay Hassan, futur roi Hassan II, entamait une série de complots visant à liquider le mouvement de libération dans la région ; ceci en parfaite coordination avec les colonialismes français et espagnol. Période pendant laquelle des résistants de l’ALN furent enlevés ou emprisonnés : « les militants issus de l’ALN allaient être pourchassés. Des opérations conjointes avec les forces coloniales allaient permettre de venir définitivement à bout de l’ALN du Sud en 1960. Les rescapés sont enrôlés dans l’Armée ; les plus récalcitrants sont portés disparus ou liquidés. De nombreux résistants sont traduits devant les tribunaux d’exception et condamnés à mort ». D’autres pourront fuir le Maroc et se réfugier en Algérie.
Vingt ans plus tard, au moment de l’affaiblissement de la monarchie marocaine en raison des deux coups d’État militaires (9 juillet 1971 et 8 août 1972) et des évènements de « guérilla » dans l’Atlas le 3 mars 1973, le Roi Hassan II se proclame « le chantre » de « sauvegarde de la Nation ».
De crainte de perdre sa mainmise sur les populations marocaines dans leur ensemble et au-delà de la question territoriale, la monarchie marocaine organise une Marche verte pour « libérer » le territoire du Sahara occidental le 6 novembre 1975. La fibre nationale d’une grande partie de la population est alors instrumentalisée afin de rallier, sous couvert de « consensus national », des partis de droite comme de gauche, tout en camouflant les marchandages en cours. En effet, les représentants des pouvoirs marocain et espagnol avaient tenu, auparavant, leurs réunions au siège de l’ambassade des États-Unis en Espagne, en vue d’établir des accords entre le régime marocain et l’impérialisme américain.
L’Espagne se désengage de ce territoire sans procéder au référendum du Peuple Sahraoui pour lequel elle était mandatée par l’ONU.
Les Etats Unis choisissent, eux, d’utiliser l’un des plus importants acquis de la lutte des peuples, le principe d’autodétermination, tout en lui retirant son caractère progressiste. Cela lui permettait d’encercler et de contrôler tout pays progressiste dont les intérêts entravent les siens comme ils l’avaient fait au Moyen Orient : la balkanisation. Ils conservent, néanmoins, leur relation privilégiée avec la Monarchie marocaine en préservant leur intérêt suscité, avant tout, par l’importance de la région tant au niveau de la stratégie militaire qu’au niveau des matières premières.
Et en 1981, à la surprise de tous ceux qui avaient appuyé la monarchie pendant la Marche Verte, Hassan II se prononçait à Nairobi pour un référendum sur l’autodétermination du Sahara occidental. Mais un référendum « contrôlé » !
Il est clair que le pouvoir marocain ne s’attache à la question nationale que pour l’instrumentaliser et les régimes occidentaux ne visent que leurs intérêts au Maroc et au Maghreb.
Nous sommes bien loin des positions qu’exprimait en 1959 Mehdi Ben Barka, pour qui seule l’union des pays du Maghreb pourrait contrecarrer les visées impérialistes en exploitant les ressources énergétiques que recèle le Sahara maghrébin. Mais, dira-t-il » le jeu machiavélique, que certains mènent en ce moment, voudrait faire du Sahara une sorte de cancer qui empêcherait les jeunes États nord-africains d’asseoir des régimes démocratiques solides. »[2]. Selon lui, le Sahara devait être, grâce à l’union des pays du Maghreb, le point de ralliement qui posera les jalons de la coopération avec l’Europe.
Cette région sera plutôt un prétexte de division. Une division non seulement entre les pays de la région et principalement l’Algérie mais aussi une division dans le Mouvement progressiste marocain.
Et en 2020, le Makhzen troque la question Palestinienne en officialisant ses relations avec Israël en contrepartie de la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Américains et les Israéliens.
Israël en Afrique
Les relations entre le Maroc et Israël existent depuis 1956 sans pour autant se manifester par des accords diplomatiques officiels, comme le soulignait Abdelghani Bousta en 1986 dans son texte manuscrit publié par la suite dans la Revue Averroès sous le titre « La série des relations Maroc-Israël – Son impact sur la question Palestinienne».
Depuis son accession au trône en 1962, Hassan II avait consolidé ses liens avec Israël et le Mossad, ce qui lui permettait de porter atteinte à Gamal Abdel Nasser considéré par une majorité des populations arabes comme un symbole de résistance. Mais également de briser les liens de Abdel Nasser avec les mouvements progressistes et ses leaders, dont Mehdi Ben Barka enlevé le 29 octobre 1965 avec les complicités de la France, d’Israël et des États-Unis.
En 1967, la Monarchie marocaine aurait joué un rôle important pendant la Guerre des six jours : « Jérusalem aurait aidé le Maroc à obtenir des armes et à éliminer un chef de l’opposition, tandis que Rabat aurait permis à l’État juif de remporter la guerre des Six jours ».
Sans son intervention sur le rôle d’Israël en Afrique lors du colloque au Caire en Mars-avril 1965, Mehdi Ben Barka, six mois avant son enlèvement, soulignait le rôle qu’Israël avait convoité en Afrique. Pour lui, au moment où Israël se présentait aux pays africains comme un modèle de développement, « l’instrument était ainsi prêt à entrer en action pour jouer son rôle en Afrique ». Un rôle que poursuivait Israël pour tenter d’assurer les intérêts impérialistes dans ce continent : la nouvelle stratégie qui devait faire « face à la vague montante de la révolution, de la libération nationale en Afrique, en Asie et en Amérique-Latine ».
Mehdi Ben Barka rappelait que la France, à la veille de l’indépendance de l’Algérie, déclarait par la voix de Roland Pré, ancien gouverneur de colonies, « nous devons considérer Israël comme une implantation d’Occident dans une région du globe qui s’en est détourné. Nous devons penser qu’Israël représente vis à vis du monde sous-développé Africain et Asiatique un moyen complémentaire de faire pénétrer l’influence occidentale. Je pense que c’est en fonction principalement de ces arguments que nous devons réclamer l’association d’Israël au Marché Commun ».
Inutile d’insister ici sur l’emploi des expressions « faire pénétrer l’influence occidentale » dans le « monde sous-développé Africain et Asiatique ». Des termes qui ne sont que l’expression d’une culture coloniale française qui persiste toujours sous d’autres formes et semble loin d’être « déconstruite ». Mais cette culture coloniale se retourne, actuellement, contre le système français.
Comme le disait Aimé Césaire dans son discours sur le colonialisme en 1950, « ma seule consolation est que les colonisations passent, que les nations ne sommeillent qu’un temps et que les peuples demeurent ».
Perdant progressivement ses colonies dans la fin des années 50, la France s’est appuyée sur Israël dans sa stratégie néocoloniale. Dans cette intervention au Caire en 1965, Mehdi Ben Barka citait Ben Bella qui considérait qu’Israël offrait ses services « partout où l’impérialisme est obligé de battre en retraite ».
Cependant, l’union des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine avait adopté une position claire contre la politique israélienne, à la deuxième conférence des chefs d’Etats africains tenue au Caire en juillet 1964 ainsi qu’à la deuxième conférence des pays non alignés.
Cette union existe-t-elle 60 ans après…Elle aurait été salutaire pour les droits humains.
Ce front uni fut progressivement brisé par les forces impérialistes qui ont, par la suite, envahi l’Irak et la Libye faisant éclater le « Front de la fermeté » qui regroupait, entre autres, l’Irak, la Libye, la Syrie et l’OLP. Ce front du refus (quelle que soit la position que chacun est en droit d’avoir sur les politiques internes de chaque pays) s’est peu à peu disloqué tant en raison des stratégies d’alliances de l’occupant que par les pratiques politiques internes de ces mêmes pays. La quasi-totalité des pays arabes du golfe, alliés des États-Unis, ont tissé leurs relations avec Israël.
Il fallait officialiser ces relations avec les pays du Maghreb. Ce fut le cas en décembre 2020 après 65 ans de relations officieuses avec la monarchie marocaine, qui troque la question Palestinienne et son Peuple pour qu’Israël et les États-Unis reconnaissent la marocanité du Sahara occidental.
Ces accords ont été signés alors que l’année 2020 a été une année record d’implantations israéliennes : « En deux jours, ce sont les permis de construire de près de 5 000 nouveaux logements dans les colonies israéliennes de Cisjordanie qui ont été avancés par le ministère de la Défense israélien » lit-on dans le site de RFI.
Après la normalisation des relations en décembre 2020, a suivi une coopération judiciaire entre Israël et le Maroc en juillet 2022. Ce n’est qu’en juillet 2023 qu’Israël officialisera, sa reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental. Est-ce par suite d’une rencontre qui aurait eu lieu à Tel Aviv entre les services secrets israélien, marocain et français ?
Le 5 juillet, alors qu’Israël déclarait sa reconnaissance de la marocanité du Sahara, l’armée israélienne menait une seconde opération de destruction à Jénine, la première datant de janvier de la même année faisant un grand nombre de victimes (morts, blessés, exode…).
Le 14 août 2023, alors que la population israélienne était dans la rue contre le projet de réforme de la justice du pouvoir d’extrême droite, Bezael Smotrich, ministre des Finances israélien, dévoilait ses plans d’annexion de la Cisjordanie.
Quant aux États-Unis, qui avaient joué un rôle déterminant dans les relations entre Israël et le Maroc en contrepartie de leur position sur la marocanité du Sahara en 2020, ils ne voulaient pas officialiser trop vite leur accord. Néanmoins en juillet 2023, ils ont fini par saluer le plan marocain d’autonomie déposé à l’ONU en 2007, en insistant, avec un bon nombre d’autres pays, sur la portée de cette solution pour « la paix » dans la région.
Mais l’intérêt stratégique américain réside, en premier lieu, d’avoir une position plus importante aux portes de l’Afrique sub-saharienne : n’est-ce pas le moyen et la possibilité de contrecarrer l’influence chinoise et russe dans ces régions au moment même où la France, l’« amie » de l’Afrique est décrédibilisée par des populations et certains États Africains.
Au-delà d’une emprise économique et politique en Afrique, c’est la possibilité de déstabiliser les rares pays de la région qui condamnent les relations avec Israël : l’Algérie, la Tunisie ainsi que la Mauritanie, qui a rompu ses relations avec cet État en 2009.
Le 1er octobre 2023, les forces d’occupation israéliennes ont pris d’assaut la prison de Ramon et déplacé plusieurs détenus Palestiniens dont Ahmad Sa’adat, Secrétaire général du Front Populaire pour la libération de la Palestine. Et ce, sans leur permettre d’emporter leurs effets personnels et en les détenant dans des conditions impitoyables et inhumaines.
Le 7 octobre 2023, l’offensive du Hamas fait plusieurs victimes dont des enfants. On dénombre, le 2 novembre : 1 400 morts, plus de 5 400 blessés et plus de 200 otages « parmi lesquels des militaires de haut rang« .
La riposte d’Israël, appuyée par les États-Unis et plusieurs autres États, s’est déroulée et se déroule encore avec violence et atrocités, bombardant Gaza (des écoles de l’ONU, abritant des déplacés ont été bombardées par Israël le 1er novembre). On dénombre ce 2 novembre : près de 9500 civils tués dont 3900 enfants et plus de 20 000 blessés. Plusieurs journalistes dont on ne peut que saluer le courage exemplaire ont été tués. Ainsi, le 2 novembre au soir, le journaliste Mohammad Abou Hatab, a été tué ainsi que plusieurs membres de sa famille, sous les frappes israéliennes.
Sous couvert de « détruire » le Hamas, Israël vise l’annexion de Gaza et l’extermination du peuple Palestinien dans le silence scandaleux voire le soutien d’un grand nombre de pays. Maître Maurice Buttin, avocat et défenseur infatigable des droits des Palestiniens adressait, le 27 octobre 2023, une lettre ouverte au Président Français après sa rencontre avec le Président de l’Autorité palestinienne : « Vous avez consacré la première partie de votre intervention, la plus longue, à condamner le Hamas « parti terroriste », que vous semblez assimiler au Daesh, ce qu’il n’est certes pas. Incontestablement, en tuant des civils, ce Mouvement a causé des crimes de guerre et pourrait être considéré comme tel. Mais, en parallèle, je vous mets au défi de qualifier Israël d’Etat terroriste. Pas seulement à cause des massacres actuels de la population de Gaza, mais de tous les massacres antérieurs à Gaza, par exemple en 2014, où l’opération « Bordure protectrice » a causé la mort de 2400 Gazaouis, particulièrement des civils ».
Des pays arabes, en position « d’équilibriste », font preuve de mollesse en voulant jouer aux médiateurs pour que cesse le conflit. Face à la montée des manifestations de soutien à la Palestine dans le monde, la majorité des États arabes qui avaient officialisé les accords avec Israël ne savent comment faire, face à leur « schizophrénie volontaire ».
La réponse des populations marocaines à la normalisation des relations du pouvoir monarchique avec Israël en contrepartie de la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental.
Les populations marocaines, quelles que soient leurs positions sur la question du Sahara occidental, soutiennent inconditionnellement le peuple Palestinien, condamnent les atrocités israéliennes et exigent le respect des déclarations de l’ONU et la reconnaissance d’une Palestine libre. Elles ont exprimé leur désaccord à l’officialisation des relations diplomatiques avec Israël. « Le peuple demande la criminalisation de la normalisation » est le mot d’ordre que des milliers de manifestants marocains clament, résolus à résister contre l’officialisation des accords signés avec Israël. Cette indignation quasi généralisée conduira-t-elle la Monarchie marocaine qui déclarait que la question Palestinienne est une préoccupation nationale, à accomplir son « souffle national » en rompant ses relations diplomatiques avec Israël ? A l’exemple des Monarchies de Jordanie et de Bahreïn qui ont rappelé leurs ambassadeurs.
Le retrait des forces israéliennes d’occupation en Palestine, la reconnaissance de l’État Palestinien avec des frontières viables et comme membre permanent de l’ONU sont des préalables aux relations avec Israël. C’est la seule solution à la crise au Proche Orient pour la paix et la sécurité pérennes des populations palestiniennes comme israéliennes.
Hayat Berrada Bousta
6 novembre 2023
[1] – En mars 1957, Ahmed Balafrej, alors ministre des Affaires Étrangères, en escale à Dakar, déclarait au sujet de ces combats qu’ils n’étaient que le fait de « bandes incontrôlées ».
[2]– Mehdi Ben Barka » Avenir des relations franco-maghrébines »- Etudes Méditerranéennes N° 1 – 1957 in « Mehdi Ben Barka- Écrits politiques 1948-1965 »- Editions Syllepse- 1999- P131