Le Mouvement Hirak du Rif- 2018

Intervention à l’occasion de la rencontre organisée par l’Association des Marocains en France (A.M.F.) à Saint-Denis à la suite du vaste mouvement de contestation sociale d’octobre 2016 dans la région du Rif, Hirak.

Dans un de ses discours, Hassan II s’adressait au peuple marocain en ces termes : « Je pense me comporter à l’égard de mes sujets comme un bon père de famille ».

La réponse du peuple : « Cher roi tu es notre père puisque nous sommes ta famille… que ce parfum d’ordure monte à tes narines. Nous t’offrons en partage notre repas de famine » – Cité dans un dossier d’Amnesty Internationale des années 70 ou 80.

            C’était symboliquement, l’expression de la si grande fracture entre le peuple et le roi. C’était aussi un rappel que nous sommes sujets de Sa Majesté et que les 3 rois, après l’indépendance, comptent préserver cet état de fait, quelles que soient les évolutions de la situation.

            Les mouvements de contestation jalonnent depuis 1956 l’Histoire de notre pays. Les arrestations massives, les détentions arbitraires, les humiliations ne cessent pas.

56- 65- 77- 81_ 84_ 92- 2008- et, depuis 2011, une accélération de ces soulèvements qui sont l’expression d’une situation explosive tant objectivement que subjectivement.

            Le Mouvement du 20 février a exprimé en 2011 la portée politique de ces contestations, celle de la nécessité d’un Etat de Droit, et donc d’un changement de système et non seulement de « politique » conjoncturelle.

            Hier, le colonialisme humiliait les populations marocaines, le Makhzen prendra le relais en tentant d’enraciner une culture de soumission, d’humiliation et, surtout en préservant ce partage colonial d’un Maroc utile et d’un Maroc inutile.

            Les populations du Rif ont une longue histoire de résistance symbolisée par le combat de Abdelkrim El Khattabi contre les colonisations espagnole et française. Il avait, pendant la bataille d’Anoual en 1921, fait reculer l’armée espagnole bien mieux armée que ne l’étaient les rifains. Mais, après l’indépendance, le Nord du Maroc a toujours été délaissé par le régime marocain que ce soit sous le règne de Mohamed V, de celui de Hassan II ou, actuellement, sous celui de Mohamed VI. Le roi Hassan II avait opté pour le délaissement du Nord marocain en particulier depuis les événements de janvier 1984 à Nador où trouvèrent la mort et seront arrêtés plusieurs manifestants.

Au début de son intronisation en 1999, le roi Mohamed VI avait fait des promesses pour l’amélioration des conditions de vie de ces populations qui ont souvent manifesté contre le délaissement de leur région.

            Aussi, en octobre 2016 éclatait un vaste mouvement de contestation sociale, surnommé le Hirak, dans le Rif. C’est de manière digne et pacifique que la population de Al Hoceima et de ses environs manifestaient pour que l’Etat respecte les promesses faites depuis trop longtemps. Région délaissée, les habitants se sont révoltés contre l’oubli et le mépris.

            Les réponses du pouvoir ne se sont pas fait attendre : répression, arrestation, bastonnades qui ont coûté la vie en juillet 2017 à Imad Ittabi, à la suite des blessures infligées par les forces de l’ordre. Les condamnations et les procès deviennent interminables et souvent iniques…

            Ce vent de Hirak a soufflé sur tout le Maroc pas seulement en termes de solidarités nationales contre la répression et de soutien aux détenus politiques mais aussi en se prolongeant dans plusieurs villes oubliées et marginalisées du Nord au Sud.

Zagora, principale ville du Sud marocain :  depuis le début de l’été, les habitants n’ont pas d’eau aux robinets pendant plusieurs jours et, lorsqu’ils en ont, elle est imbuvable.

Les habitants ont commencé à manifester pacifiquement depuis le mois d’août caniculaire dans cette région du sud. Le 24 septembre les forces de l’ordre ont entamé leur marche répressive en dispersant les manifestants et arrêtant certains d’entre eux. Le 8 octobre, ils quadrillent comme à Elhoceima la ville et utilisent la force avec la panoplie d’insultes, humiliations, mépris et bastonnades.

Ces « manifestations de la soif » rejoignent les manifestations « contre l’oubli »

JERADA

Cette ancienne ville minière du Nord Est qui produisait une qualité de charbon reconnu comme la meilleure du monde a été délaissée à la suite de la fermeture en 1998 de la mine qui comptait 9000 ouvriers. Aucune solution économique pour que ces ouvriers puissent retrouver du travail. La ville sera marginalisée et « les barons du charbon » continuent clandestinement d’exploiter cette mine en toute impunité sans tenir compte des habitants.

Le 27 décembre 2 frères trouveront la mort dans un puits. Une grève générale soutenue par les habitants le 29 décembre 2017, sera le moment de la naissance du Mouvement Hirak de Jerada.

Le 1er février 2018, un nouveau décès dans les mêmes circonstances a encore renforcé le climat de défiance qui régnait sur la ville.

À la suite de l’annonce par les autorités de la mise en place d’une série de mesures pour sortir cette région de son oubli, les militants du Hirak Jerada sont restés vigilants tout en se donnant du temps pour la réflexion. Ce 22 février, ils ont décidé de poursuivre leur mouvement de protestation pour dénoncer le peu d’intérêt affiché par le Makhzen aux régions pauvres du Maroc.

Ici aussi, arrestations, détentions, humiliation…

IMIDER, commune rurale du sud marocain

Depuis août 2011 jusqu’à cette année, les habitants manifestaient contre les violences subies par la société métallurgique de la commune (SMI). Ces combats et protestations datent en fait de plus de 30 ans et se sont déroulées sur plusieurs années sans que les manifestants soient écoutés (1986, 1996, 2004, 2010). Pour le pouvoir, cette ville a souvent été considérée comme un bastion du combat politique contre l’arbitraire et le non droit.

            La Société Métallurgique d’Imider est une exploitation minière qui extrait, traite et valorise le minerai d’argent dans une région désertique du Sud-Est du Maroc. Elle s’est approprié cette ressource naturelle – bien commun – des habitants de la commune. Les ayants droits contestent cette appropriation et parlent de spoliation des terres de leurs ancêtres. Le mode de gestion et d’exploitation de la mine enrichit les propriétaires de la société (actionnaires dont les chiffres d’affaires en 2011 et 2012 ont augmenté  de 8,5 % à 28,94 %), selon Brahim Fouguig, professeur en sciences économiques et gestion à la faculté de Sciences Juridiques économiques et Sociales – Fés et qui vient de publier un article très bien documenté sur la mine d’Imider: (http://rojoynegro.info/sites/default/files/ECADIM_Imider_Maroc.pdf

            Cette accumulation ne se soucie en rien de l’impact nocif de ce type d’exploitation sur l’environnement et les humains : épuisement de la nappe phréatique en particulier et empoisonnement du territoire.

            Brahim Fouguig écrit : « L’expropriation des territoires de tribu et de l’exploitation par l’Etat du protectorat et par l’Etat de l’indépendance par la suite, (…) n’a jamais été acceptée par les ayants droits. Elle n’a jamais fait l’objet d’un consensus. Ce problème a fait et fait encore l’objet de luttes et de revendications. Il est à l’origine des souffrances, des arrestations, des emprisonnements, des tortures et de sous-développement humain et des territoires, notamment dans les régions de montagne. Ce problème persiste encore»

            Depuis Août 2011, les habitants d’Imider protestent dans le cadre du Mouvement « sur la voie 96 » (MSV96) par référence aux protestations dispersées en 1996, pour défendre un dossier socio-économique et environnemental. Les habitants avaient organisé plusieurs Sit-in en en février 96 que les forces de l’ordre disperseront violemment le 10 mars 1996, il y aura 22 ans aujourd’hui. Ce Sit-in qui se poursuit est considéré comme le plus long à travers l’histoire du Maroc.

            Plusieurs militants seront arrêtés écopant de prison ferme et Lahcen Ourahma, condamné à 2 ans de prison ferme succombera sous la torture.

Aujourd’hui, et depuis 2011, les protestations n’ont pas cessé avec son lot de répression, insultes, détentions, condamnations

            Tous ces mécontentements, toutes ces protestations qui, au-delà, des situations de précarité réclament la démocratie, la justice, le respect de la dignité humaine n’empêchent pas certains pouvoirs occidentaux de parler « d’une exception marocaine », occultant consciemment ces drames humains au nom d’un relativisme de situation. On ne peut plus dire aujourd’hui, grâce aux nouvelles formes de communication, « on ne le savait pas ».

            Une situation objectivement et subjectivement explosive face à une politique qui, en exaspérant les populations qui « n’ont plus rien à perdre », ouvre la porte à des extrémismes incontrôlables qui, tout en créant un climat social d’un autre âge dans leur pays, commettent des actes criminels au Maroc qui se prolongent aussi dans d’autres pays. Condamner, poursuivre les acteurs de ces actes, favoriser les questions sécuritaires est une nécessité mais il est nécessaire d’en identifier les causes.

            Aborder les droits humains, c’est aussi se pencher sur les conditions qui permettent leur violation, les responsabilités visibles et moins visibles qui accentuent la fracture sociale.

            A l’instar du Mouvement du 20 février, les Mouvements de Hirak, du nord au Sud condamnent ces privilèges accordés aux investisseurs étrangers, ces investissements non taxés et les intérêts financiers communs qui permettent à la France de renflouer ses caisses et au roi du Maroc et son entourage de renflouer leurs différents comptes par le monde.

            Quelles que soient les issues de ces soulèvements, quelque soient les manipulations et instrumentalisations du pouvoir, même si les pseudos réponses du pouvoir ne répondent pas aujourd’hui aux référentiels des droits humains, ceux d’égalité et liberté dans leur totalité, conditions d’une démocratie,  ce qui a changé au Maroc comme dans plusieurs autres pays, c’est ce réveil des peuples qui, même si leurs revendications n’aboutissent pas aujourd’hui, ont marqué et marquent toujours l’histoire de nos destinées meilleures pour la dignité et  véritable démocratie. Tout est orchestré pour les avoir à l’usure mais et on ne peut pas renier ces mouvements, ces voix pour la liberté, et, comme le chante Jean Ferrat :

(…)  Ne tirez pas sur le pianiste
Qui joue d’un seul doigt de la main
Vous avez déchiffré trop vite
« La musique de l’être humain »
Et dans ce monde à la dérive
Son chant demeure et dit tout haut
Qu’il y a d’autres choix pour vivre
Que dans la jungle ou dans le zoo (…) 

Pour conclure,

« Dans le Rif, « Sa Majesté le peuple » défie le palais »

C’est sous ce titre que le journal l’Humanité du 22 juin 2017, en première page, sous la plume de Rosa Moussaoui, exprimait sa solidarité avec tous ceux qui ont été emprisonnés, tabassés par les forces de police marocaines dans le RIF et particulièrement à Al Hoceima. Une solidarité que l’on souhaiterait voir se développer et reprendre sa dimension historique qu’elle avait lors des événements réprimés qu’a connus le Maroc en particulier pendant les manifestations de Mars 1965, juin 1981 et janvier 1984 ou lors des procès souvent iniques en particulier en 1970, 1973 et 1977.

Hayat Berrada-Bousta
10 mars 2018