Réalités des libertés publiques et démocratiques au Maroc à l’aune du mouvement 20 février – 21 février 2014

Plus d’un demi – siècle après les indépendances au Maghreb, un vent de liberté a souffle sur ces pays depuis la fin de 2010. Ce vent de liberté s’est amplifié en 2011 pour toucher les pays du Maghreb et du Machrek

            Ce n’était pas la première fois que les exigences de liberté et de dignité se sont fait entendre au Maroc. Dans 1 mois, nous pourrons commémorer les 49 ans de ce soulèvement qui eut lieu à Casablanca le 23 mars 1965, l’un des plus importants bains de sang dans cette ville qui a connu, à l’instar de 80 autres villes et villages du pays les manifestations pacifiques du Mouvement du 20 février. Ce 23 mars avait fait plusieurs morts dont un certain nombre de femmes dont le crime était de croire en la possibilité pour leurs enfants de sortir de l’illettrisme, qui avaient l’espoir que l’éducation contribuerait à aider leurs enfants dans la vie et qui avaient tout sacrifié pour ceci. On avait touché à leurs enfants…La répression sauvage s’est soldée par plusieurs morts et des victimes dans les fosses communes.

            En réponse à cette colère, Hassan II, une semaine après ces événements dira lors de son allocution le 30 Mars « Il n’y a pas de danger plus grave pour l’Etat que celui de soi-disant intellectuels. Il vaudrait mieux que vous soyez illettrés. »

            C’est aussi cette liberté de dire, d’écrire dans les chansons comme dans la poésie l’indignation de la servitude qui a été réprimée en ce mouvement du 20 février.

            Cette Mémoire, nous n’avons pas le temps de l’exposer aujourd’hui, mais cette Mémoire ne doit pas être mise aux oubliettes car elle est la continuité dans la résistance, comme me l’ont rappelé les slogans entamés à Casablanca le 20 mars 2011 : « Où sont donc les luttes passées, elles ne font que se développer » …

            Ce qui est incontestablement extraordinaire cette année 2011, c’est cette flamme olympique que nos amis tunisiens n’ont pas laissé tomber et qui passe de pays en pays et place au niveau international la dignité de ces peuples au premier plan.

            Ces mouvements ont basculé les aprioris et les stéréotypes qui consistaient à clamer que la recherche de la démocratie est propre à l’Occident…Les détenteurs des pouvoirs n’ont jamais posé la question de la démocratie et des DH dans leur caractère universel. Ils ont donné une priorité au relativisme culturel ou de situation…

            Bien que des nuances soient à apporter selon les spécificités de tel ou tel pays, le constat est le même : c’est l’échec cuisant des gouvernements postindépendances. Des générations entières en ont fait les frais et leurs jeunesses de plusieurs pays clament ensemble aujourd’hui avec force et détermination : CA SUFFIT ! Elles revendiquent leur droit inaliénable à la citoyenneté pleine et entière, à la dignité, la liberté, l’égalité et la démocratie, mais aussi, et c’est essentiel, à la séparation du religieux et du politique.

            Au Maroc, la jeunesse a repris le flambeau d’un combat pour le doit et la justice.

            Les jeunes ont persisté dans leurs revendications et leurs manifestations après les promesses de modifications constitutionnelles que le roi a faites le 9 mars 2011.

            Tout simplement parce que le discours n’a pas répondu à leurs attentes et n’étaient pas à la hauteur de tant d’années de sacrifices pour le droit et la justice.,

            Paysans, ouvriers, étudiants, cadres, entrepreneurs… étaient là pour exprimer au-delà de conditions sociales et économiques, la nécessité d’un Etat de droit, la condamnation des discours prometteurs démagogiques et la reconnaissance de leur citoyenneté véritable.

            Comme le disait Benbarka en 1962 « La démocratisation de la vie publique signifie la recherche des détenteurs véritables du pouvoir politique, pour les plier à la volonté populaire, et non à l’organisation hâtive d’élections nouvelles qui, dans les circonstances présentes, laisseraient le pouvoir à ceux qui le détiennent, derrière le décor d’un jeu parlementaire factice ».

            Résister pour imposer ces exigences, c’est exiger que la page de la citoyenneté véritable soit reconnue, que le peuple puisse avoir droit de regard sur sa destinée, c’est aussi un combat contre la corruption érigée en système et qui gangrène notre pays, c’est vouloir une indépendance véritable des lobbys internationaux qui font du Maroc le chien de garde de l’ultra libéralisme….

            La crainte de voir basculer le système marocain qui privilégie les investissements étrangers est telle que les médias français ne font que donner pour exemple « l’exception marocaine », ce pays où émigrent ces retraités français pour retrouver ce beau ciel d’Agadir (cf. France 2 dans le cadre de ses 5 dernières minutes en 2011. Mais, rien sur la répression qui s’est abattue sur les manifestants à Agadir le 20 février. Rien sur les mouvements de contestation pour la liberté et la dignité dans toutes les villes marocaines…rien sur ces jeunes qui veulent préserver leur patrimoine national.

            La phase de revendications de la dignité et de la liberté, cette phase de résistance qui s’explique par une indignation de plus en plus grandissante a nécessairement des périodes d’accalmie et d’autres plus soutenues.

            Pour ceux qui pensent que depuis 1999, le Maroc est rentré dans sa transition démocratique et que le nouveau roi serait garant de cette démocratie, les évènements, la dégradation des droits économiques sociaux et politiques, la dépendance plus accrue envers l’étranger…le système n’a pas changé.

            Le combat des militants pour la démocratie, la dénonciation systématique contre la politique répressive de Hassan II a porté ses fruits et a obligé le pouvoir a modifié son comportement répressif sans reconnaître les droits humains. Le système reste inchangé malgré des ajustements de surface pour plaire à l’Occident.

            Dominée par des relations de type néocolonial, l’économie marocaine souffre encre de la désarticula­tion de ses principaux secteurs d’activité. Les liens qui unissent ces derniers avec l’étranger sont bien plus solides que ceux qui existent entre eux sur le marché intérieur. C’est le cas des sec­teurs organisés, équipés, modernisés et destinés à l’exportation tels l’agriculture (agrumes, toma­tes, primeurs, roses, marinas…) le textile, le cuir, la pro­duction minière…C’est le cas de LYDEC, de Maroc Télécom… et qui justifient les mouvements de contestation de la classe ouvrière, suivis de répression systématique (ex actuel)

            Mais au-delà de cela, la réalité la plus mar­quante reste celle de la juxtaposition des deux mondes : celui de la pauvreté absolue et celui de la richesse et du luxe étalés au grand jour, illus­tration flagrante d’une pyramide de redistribution des richesses extrêmement pointue, et qui a implosé et qui, malgré des moments de calme risque d’exploser de manière plus incontournable.

            Les conditions subjectives comme objectives de cette implosion sont toujours là.

            La fracture sociale au Maroc, plus importante qu’en Tunisie constitue un terrain favorable à la montée de l’intégrisme. En l’absence de l’Etat de droit, une minorité s’est emparée par la coercition et l’arbitraire de l’ensemble des potentialités du pays pour servir ses propres intérêts.

            Aussi, pour que le pays ne soit pas aux mains de mouvements intégristes et islamistes, antinomiques avec l’Islam, il faut imposer un Etat de droit et la justice sociale. Il est urgent que le peuple ait la liberté de promouvoir sa citoyenneté.

            Les intégrismes fleurissent à l’ombre des autocraties et de l’absolutisme. Cautionner les autocraties et les privilèges impunis pour ceux qui détiennent le pouvoir, c’est aussi cautionner les intégrismes.

            C’est ce que font certains pouvoirs en Occident. Ils fustigent les intégrismes d’Iran mais saluent le roi d’Arabie Saoudite dont le système est des plus dégradants pour les femmes.

            Ils déploient le tapis rouge aux dictateurs au moment même où leurs peuples s’insurgent contre des politiques de servitude et de non droit.

Hayat Berrada-Bousta
21 février 2014