Maroc- Algérie, Tunisie, Soudan…
Intervention à l’occasion du 38ème anniversaire des évènements du 18 juin 1981 à Casablanca et dans plusieurs autres villes.
Chers amis,
Merci au collectif des associations et partis politiques marocains en France de leur confiance en me demandant d’intervenir en leur nom. J’espère pouvoir répondre à leur attente.
En ce jour du 38ème anniversaire du soulèvement de juin 1981 au Maroc et particulièrement à Casablanca, quels liens pourrions – nous constater avec les évènements d’aujourd’hui ? Quelles questions pourrions-nous nous poser ?
Si nous connaissons la constante dans la nature du régime, ce système d’aliénation, d’exploitation qui a toujours manié bâton et promesses conjoncturelles, la prise de conscience des peuples est aussi une constante en évolution.
Comme l’écrivait Mehdi Ben Barka après les évènements de Mars 1965, « Si la majorité de la population est maintenue dans la misère et l’inculture et si, en plus, elle voit se fermer devant elle les portes de l’espérance, comment s’étonner que l’impatience prenne le masque du désespoir ? »
Un désespoir auquel répond le pouvoir marocain par la force.
Du 18 au 23 Juin 1981, Casablanca a connu des émeutes sanglantes en particulier le 20 juin : la chasse à l’homme, et principalement des jeunes et des chômeurs, un millier de morts jetés dans les fosses communes, des centaines d’arrestations, de tortures… pour finir avec une parodie de justice. Une répression sauvage s’abat sur des citoyens qui manifestaient contre la vie chère.
Plus de 20 ans après, ces fosses communes sont découvertes. Mais qu’en est – il des identifications des corps permettant que les familles puissent faire leur deuil ?
Les réponses du pouvoir sont toujours les mêmes avec des faux semblants calculés pour maintenir son système de non droit.
En juin2008, il réprime dès l’aube du 7 juin, les citoyens de la ville de Sidi IFNI dans le sud marocain réveillés par les descentes des forces de police à leur domicile. Ville encerclée, familles de militants prises en otage, déploiement d’hélicoptères à la recherche de militants dans les montagnes et dans les villes.
Encore une fois, des balles furent utilisées, des dizaines de citoyens ont été bastonné, des femmes molestées, injuriées et …une barbarie qui rappelle les années de plomb. Quand certains pensaient que l’ère de Hassan II avec sa panoplie d’exécutions, de morts, de torture…était révolue !
Les raisons de cet acharnement répressif : le blocage depuis le 30 mai 2008 du port d’IFNI par des jeunes chômeurs qui depuis 3 ans revendiquaient, entre autres, leur droit au travail et le minima de conditions sanitaires et sociales.
Le désespoir des « laisser pour compte » qui revendiquaient une amélioration minimum de leur condition de vie évoluera en prise de conscience de revendications politiques.
Le 20 février 2011, élargi par les réseaux sociaux, l’appel des jeunes et moins jeunes à une protestation se généralise dans plus de 80 villes et villages marocains. A partir de revendications des conditions matérielles, le Mouvement du 20 février a exprimé en 2011 la portée politique de ces contestations, celle de la nécessité d’un Etat de Droit, et donc d’un changement de système et non seulement de réformettes conjoncturelles. Ce Mouvement a touché au système de pouvoir en revendiquant un changement constitutionnel. Ce fut probablement la première fois que la peur changeait de camp pas de manière définitive, certes, mais c’est un moment que notre histoire retiendra. Manifestations dignes et pacifiques, revendications politiques …dans la prolongation du mouvement tunisien qui, comme la flamme olympique, est passé d’un pays à un autre ; Ce printemps- là a fait des petits et nul ne peut arrêter cet envol.
Depuis octobre 2016 dans le Rif, les protestations du Hirak ne cessent de toucher d’autres villes. La population de ALHoceima et de ses environs manifestaient pour que l’Etat respecte les promesses faites depuis trop longtemps.
Région délaissée depuis l’indépendance formelle, c’est principalement sous le règne de Hassani II depuis les révoltes de janvier 1984 à Nador où trouvèrent la mort et seront arrêtés plusieurs manifestants que ce délaissement persiste et s’accentue.
Au début de son intronisation en 1999, le roi Mohamed VI avait fait des promesses pour l’amélioration des conditions de vie de ces populations qui ont souvent manifesté contre le délaissement de leur région sans apporter de réponse conséquente.
Là aussi, ces revendications ont une signification politique pour un changement de système. La répression ne s’est pas fait attendre : arrestations, torture, procès iniques et des condamnations à 20 ans d’emprisonnement.
Ce vent de Hirak a soufflé sur tout le Maroc pas seulement en termes de solidarités nationales contre la répression et de soutien aux détenus politiques mais aussi en se prolongeant dans plusieurs villes oubliées et marginalisées du Nord au Sud, le Maroc inutile comme le disait les colons français, terme repris dans les faits par le pouvoir marocain :
IMIDER, commune rurale du sud marocain re – déploie leurs contestations qui datent de 30 ans : ces combats et protestations se sont déroulés sur plusieurs années sans que les manifestants ne soient entendus (1986, 1996, 2004, 2010). Pour le pouvoir, cette ville a souvent été considérée comme un bastion du combat politique contre l’arbitraire et le non droit.
ZAGORA, principale ville du Sud marocain, les « manifestations de la soif » rejoignent les manifestations « contre l’oubli » : pas d’eau dans les robinets en cet été 2017 caniculaire. Le 24 septembre les forces de l’ordre ont entamé leur marche répressive en dispersant les manifestants et arrêtant certains d’entre eux. Le 8 octobre, ils quadrillent comme à Elhoceima la ville et utilisent la force avec la panoplie d’insultes, humiliations, mépris et bastonnades.
JERADA
La région de l’Oriental, à l’est du pays, près de la frontière algérienne, est une des plus déshéritées du Maroc. Pourtant, elle fut prospère grâce au charbon après la Seconde guerre mondiale. En 1953, sous la colonisation, 350 000 tonnes sont extraites. Ce sera l’apogée.
Mais, déclin du charbon, fermeture en 1998 de la mine. Depuis, la misère s’est abattue sur la ville. Le taux de chômage (36%) est le plus haut, le taux de pauvreté grimpe à 11% contre 5% dans le reste du pays. Aucune solution économique ne sera apportée pour que ces ouvriers puissent retrouver un travail. La ville sera marginalisée et « les barons du charbon » continuent clandestinement d’exploiter cette mine en toute impunité sans tenir compte des habitants. Mais en même temps que la fermeture de mines, des permis d’exploitation sont accordés.
Pour survivre, beaucoup s’aventurent dans les mines désaffectées. Ils remontent des tonnes d’anthracite pour le compte d’entrepreneurs peu scrupuleux. Les mines sont dangereuses, non sécurisées et les accidents nombreux. Chaque année, on compte deux à trois mineurs tués par les éboulements, 44 décès depuis 1998. Fin décembre 2017, deux frères sont décédés dans une galerie clandestine. Un autre décès dans l’éboulement d’un puits en février 2018 a déclenché la colère des habitants.
Comme dans le Rif, le Hirak à JERADA dont les habitants se sentent abandonnés par le pouvoir, les manifestations ont été vivement réprimées, plusieurs manifestants emprisonnés et condamnés lors de procès iniques. Ils ont été libérés lors de Aïd El fitr.
En ce début d’année 2019, le gouverneur de la province, Mabrouk Tabet, a donné aussi le coup d’envoi de deux projets à vocation sociale.
Espérons que cela aboutira car tout acquis pour l’amélioration de vie d’un peuple devra être salué car ce sont les engagements et les revendications des populations qui l’ont permis, mais la vigilance reste la même pour l’établissement d’un Etat de droit, le respect de la dignité humaine tant économique que sociale et politique et contre toutes les formes de corruption et d’impunité.
Ainsi du Nord au Sud, d’Est en Ouest, le Maroc a connu des revendications pour le droit, la justice, la dignité depuis de très longues années.
Il ne s’agit pas de comparer ces événements ou de faire la hiérarchie dans l’intensité de la barbarie… Mais lorsque la réponse au désespoir de vie d’une majorité de la population et principalement de ses jeunes restent les méthodes répressives, ce n’est que la révélation de la constance de la nature de l’État : un État de non droit au sein duquel l’impunité continue de régner.
En dehors du Maroc, ces Mouvements de contestation se multiplient et s’intensifient
En ne citant que deux d’entre eux :
– Ce vendredi 21 juin 2019 signe le 18ème vendredi de contestation des citoyennes et citoyens algériens malgré la montée en puissance du ton belliqueux de l’armée qui met en avant les dangers du séparatisme pour diviser et démobiliser. Mais, les Algériens, Kabyles, Arabes ou Chaouis, militent dans l’union pour une Algérie respectueuse des diversités pour une Algérie démocratique, libérée de la corruption et du non droit. « Je suis kabyle, déclare Lamia Mansouri, 60 ans, et fière de l’être mais je n’ai qu’un seul drapeau (algérien), celui pour lequel mon père est mort » durant la guerre d’indépendance ».
Leur résistance, chers amis, est aussi clairsemée d’humour. Quand la justesse des revendications rejoint l’humour dans les slogans, c’est le signe d’une libération de la peur et d’une maturité des combats.
Au Soudan, en décembre 2018 des centaines de manifestants dénoncent l’augmentation de prix du pain. En février 2019, l’état d’urgence est décrété et les manifestants réclament un gouvernement de transition. La destitution du président fera place à un conseil militaire de transition qui n’hésitera pas à employer de manière sauvage la force contre les manifestants qui accusent les généraux de retarder la transition et entament une grève générale les 28 et 29 mai 2019 avant d’organiser un sit-in le 3 juin, sit-in qui sera dispersée et réprimé sauvagement par diverses forces militaires : plus d’une centaine de morts dont certains auraient été jetés dans le Nil, agressions sexuelles, blessés graves…
Malgré cette farouche répression, les citoyens soudanais n’ont pas été réduits au silence. Ils résistent et inventent de nouvelles formes de lutte : l’alliance pour le changement annoncera le 9 juin le mouvement National de désobéissance civile faisant de plusieurs grandes villes du Soudan des cités fantômes avant de décréter un rassemblement de nuit le 17 juin contre les massacres du 3 juin.
Ainsi, les pays d’Afrique ont montré et montrent toujours cet espoir porté depuis les dépendances : celui de la libération et de la liberté. Ils persistent et signent cette nécessité malgré la répression, malgré les alliances de pouvoir avec l’Étranger dont l’objectif est de les maintenir encore sous leur dépendance.
Ces soulèvements populaires, ces mouvements de contestation largement ou peu réprimés atteignent aussi les pays dits d’État de droit ou « démocratiques » : Podemos, en Espagne, les indignés, Syrisa en Grèce, les gilets jaunes en France…
C’est que la barbarie du système ultra libéral arrogant et sauvage dans le monde laisse de plus en plus de populations dans la rue et amplifie la fracture sociale.
Incontestablement, tous ces mouvements de protestations, quel que soit le niveau de répression subi, quels que soient leur forme, leur lieu ou même leur moment, sont une prise de conscience que nul ne peut arrêter. Et, l’adversaire le sait et tentera toujours de manier bâton et promesses conjoncturelles. Sa raison d’être « est inséparable de l’esclavage, de l’aliénation, de l’exploitation.».
Ce système effectue bien son travail. A nous de savoir nous organiser pour y faire face dans la pérennité et dans l’unité car l’exploitation comme l’aliénation ne sauraient être éternelles
Seule l’union des forces démocratiques dans un pays et entre pays d’une même région pourront y faire face en trouvant le moyen de se rassembler quelles que soient leurs choix idéologiques ou stratégiques, et converger vers cette possibilité : donner à l’Humain sa place centrale.
Pour cela, ne faudrait-il pas travailler pour une culture de l’Union sans sectarisme ou esprit concurrentiel mais sur la base d’un programme permettant de contrecarrer une politique liberticide, de mépris, de non droit, d’impunité, de dépendance qui peut conduire à une situation de dégradation de non- retour.
Quand le désespoir arrive à son comble, n’est-il pas urgent de revoir des pratiques du passé tout en rendant visibles et audibles la Mémoire de nos différents combats.
Chers amis,
Avant de terminer, hommage à la Résistance Palestinienne contre l’ignominie de l’État d’apartheid israélien appuyé par plusieurs pays dits « démocratiques ». Madame Hidalgo, Maire de Paris, a pris la décision d’inaugurer la place de Jérusalem à Paris en présence du maire de Jérusalem, le maire de l’annexion et de l’oppression des Palestiniens, d’autres sèment la confusion entre sionisme et antisémitisme, ou encore considèrent que toute critique d’Israël est de l’anti sémitisme comme l’ont déclaré des députés allemands qui souhaiteraient proposer une loi en ce sens ; d’autres encore considèrent que ceux qui appellent au boycott des produits en provenance d’Israël devraient être poursuivis alors que des adultes comme des enfants meurent tous les jours sous les balles de l’armée israélienne qui souhaite les exterminer dans le silence ou/et avec la complicité de certains États Arabes et Occidentaux …
Mais ils résistent. Leur résistance, illustrée par le trois jeunes d’Hébron arrivés en France et qui seront le 29 juin à Saint-Denis, est un exemple pour nous tous.
Hayat Berrada – Bousta
18 juin 2019